Les études scientifiques sont-elles fiables ? Plus précisément, les découvertes initiales sont-elles confirmées par des travaux ultérieurs réalisés par des équipes indépendantes ? Concernant la recherche biomédicale, John Ioannidis et son équipe à l'université Stanford (Californie) ont répondu à cette question. Ils ont montré, en 2011, avec de très nombreux exemples, qu'au moins trois études initiales sur quatre explorant une nouvelle question sont, soit complètement réfutées, soit largement atténuées par les travaux ultérieurs.
Par exemple, la première étude associant une mutation du gène BRCA1 au cancer du côlon a été publiée dans la prestigieuse revue The Lancet en 1994. Elle affirmait que les porteurs de cette mutation avaient quatre fois plus de risques de développer ce cancer. Les travaux ultérieurs ont tempéré le résultat et, selon la méta-analyse qui a fait le point sur la question en 2005, ce facteur de risque est estimé à 1,2.
Cette tendance n'a rien de choquant du point de vue scientifique. C'est la conséquence mécanique d'une pratique très générale : les chercheurs qui explorent une nouvelle question ne publient que lorsqu'ils trouvent un lien significatif entre deux variables. La première publication sur un nouveau sujet est donc presque toujours largement plus positive que les suivantes. Ainsi se déroule le processus actuel de publication scientifique : un premier résultat, spectaculaire mais incertain, est suivi par des travaux qui convergent vers un consensus fiable, mais le plus souvent de moindre portée.
Si ce biais de publication n'est pas choquant en soi, la médiatisation des découvertes scientifiques en est grandement altérée. C'est ce que nous avons montré dans un article paru le 12 septembre 2012 dans la revue américaine PLoS One avec le cas du trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH). Nous avons recherché dans la presse anglo-saxonne tous les articles parus entre 1990 et 1999 se faisant l'écho de travaux scientifiques concernant le TDAH.
En analysant les 10 publications scientifiques les plus médiatisées, nous avons trouvé 7 études initiales qui ont toutes été réfutées ou très atténuées ensuite. Deux publications qui confirmaient des travaux antérieurs ont été plus tard reconfirmées. La dernière des 10, largement médiatisée aux Etats-Unis, a été publiée, en 1999, par une équipe de l'université Harvard. Elle affirmait que la prescription de psychostimulants aux enfants hyperactifs les protégeait du risque de toxicomanie. En 2008, cette même équipe publiait une suite concluant que le médicament ne diminue pas ce risque. Cette publication, pourtant en accord avec d'autres travaux, n'a pas été relayée par la presse.
Cette altération de la médiatisation n'est pas anecdotique. La presse anglo-saxonne a consacré 226 articles à ces 10 publications très médiatisées. Les 67 études scientifiques ultérieures, qui en contredisaient 8 sur 10, ne reçurent en tout que 57 articles de journaux. De plus, un seul d'entre eux mentionna la réfutation de l'étude initiale correspondante. Autrement dit, la presse favorise les études initiales et n'informe quasiment jamais le grand public lorsqu'elles sont réfutées ou sévèrement atténuées, ce qui est pourtant le cas le plus fréquent.
La presse française n'échappe pas à ce biais. Ainsi le quotidien Les Echos a rapporté, le 18 juillet 2003, une étude publiée le même jour dans la prestigieuse revue Science. Selon les chercheurs, les porteurs de la variante courte du gène codant pour le transporteur de la sérotonine sont plus susceptibles de développer une dépression s'ils sont soumis à des stress. Cette interaction entre gène et stress a été réfutée, en 2006, par une autre étude portant sur un nombre de sujets cinq fois supérieur. Cette réfutation a été confirmée par une méta-analyse publiée le 17 juin 2009, mais n'a pas été médiatisée en France.
Au contraire, l'hebdomadaire L'Express a affirmé le 19 novembre 2009 que « 20 % de la population possède une forme courte du gène qui permet de transporter la sérotonine : ces 20 % seraient, en quelque sorte, plus vulnérables à la dépression ». Autre exemple : Le Monde a titré, le 2 octobre 2010, « La génétique impliquée dans l'hyperactivité », à partir d'une étude publiée dans la revue The Lancet. D'autres chercheurs ont publié, le 20 novembre 2012, qu'ils ne retrouvaient pas l'effet initial, mais Le Monde n'a pas relayé cette réfutation.
Selon notre étude, deux facteurs semblent concourir à cet attrait des médias pour les études initiales plutôt que pour les travaux ultérieurs : les premières sont publiées dans des revues scientifiques plus prestigieuses et par des chercheurs travaillant dans des universités plus renommées que pour les suivantes. Or le prestige des revues scientifiques n'est pas un gage de fiabilité des études qu'elles publient.
Comme le commente l'hebdomadaire The Economist, notre travail explique un paradoxe que chacun constate : si toutes les découvertes rapportées par la presse concernant le cancer avaient été confirmées, ce fléau aurait dû être maîtrisé depuis longtemps.
Notre domaine de recherche, les neurosciences, voit également se multiplier les annonces de découvertes sensationnelles. Pourtant, les experts les plus respectés reconnaissent que ces découvertes n'ont que peu apporté à la pratique de la psychiatrie. Selon Steven Hyman, l'ancien directeur du National Institute of Mental Health, « la neurobiologie a fait de réels progrès, mais n'a pas encore atteint un niveau qui lui permettrait de contribuer utilement à la définition des différentes pathologies ».
Malheureusement, le projet concernant les soins en psychiatrie, et qui a abouti à la loi du 5 juillet 2011, affirmait en introduction : « Les avancées scientifiques tant dans le domaine des neurosciences, de la biologie que des thérapeutiques médicamenteuses ont modifié ces vingt dernières années les pratiques cliniques. "
C'est un exemple parmi d'autres où le discours abusivement triomphant de la biologie a été mis au service de décisions politiques contestables. Les distorsions du discours de la biologie dans les médias peuvent donc entraîner des décisions individuelles et collectives inadaptées. Les recherches concernant ces distorsions, leurs causes et leurs conséquences sociales et politiques sont encore trop peu nombreuses. Il faut saluer, ici, le soutien de l'Institut des sciences de la communication du CNRS et de la région Aquitaine à ce type de recherche interdisciplinaire.