Pourquoi le dossier médical partagé ne tient pas ses promesses

Capital, Caroline Robin – 8 novembre 2019

Si l'Assurance Maladie se félicite d'avoir ouvert près de 8 millions de dossiers, la confédération des syndicats médicaux de France (CSMF) juge l'outil inexploitable en l'état actuel.

Texte original sur capital.fr

Plus de quatorze ans après avoir été promis par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, le dossier médical partagé (DMP) est désormais officiellement « disponible pour tous ». L'actuelle ministre de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé mardi 6 novembre, le lancement national de ce carnet de santé numérique « gratuit, confidentiel, sécurisé » et non obligatoire, qui centralise les informations médicales des patients, comme les comptes rendus d'hospitalisation et de consultation, les résultats d'analyses biologiques, les radios, etc.

Sur le papier, le dossier médical partagé (DMP) devrait améliorer la prise en charge des patients par les professionnels de santé en France. Soins des 24 derniers mois, antécédents médicaux comme les pathologies, allergies ou intolérances à certains médicaments, compte-rendus d'hospitalisations et même coordonnées des proches à prévenir en cas d'urgence sont censés figurer dans ce dossier de soin personnalisé mis à disposition des médecins. Un dispositif imaginé il y a quinze ans par l'ancien ministre de la santé Philippe Douste-Blazy, puis relancé l'année dernière par Agnès Buzyn et Nicolas Revel. Si l'Assurance Maladie s'est félicitée cette semaine d'avoir ouvert 8 millions de DMP en un an, la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF) déplore la lenteur du déploiement, alors que l'objectif est d'atteindre 40 millions de DMP créés d'ici 2022. Des médecins jugent aussi l'outil inexploitable en l'état actuel pour les quelques patients qui ont déjà un DMP.

Contacté par Capital, le président du CSMF, le docteur Jean-Paul Ortiz précise qu'il souscrit à l'idée du DMP. "S'il est bien constitué, cet outil permettra de mieux connaître les médicaments prescrits et de sortir d'une impasse quand un patient âgé nous dit qu'il prend des pilules bleues le matin et des blanches le soir". Problème : le médecin estime qu'à ce stade l'outil n'est pas abouti. Comme plusieurs de ses confrères et consoeurs, il cherche encore l'utilité de l'actuel DMP pour les quelques patients qui en disposent déjà d'un. "D'abord, on y trouve quoi dans ce dossier ? Pas grand chose… Pour le moment, il y a juste des informations administratives". Si le président du CSMF est convaincu que le DMP pourrait à l'avenir, garantir une prise en charge des patients de meilleure qualité et améliorer les diagnostics, il déplore l'absence de structuration des données médicales dans la version actuelle du DMP. "Imaginez une bibliothèque sans indexation, le dossier médical partagé, c'est pareil", fustige-t-il.

La France à la traîne par rapport à ses voisins européens

"Il ne faut pas oublier que le DMP a été imaginé par Philippe Douste-Blazy il y a quinze ans !", rappelle Jean-Paul Ortiz qui déplore la lenteur de l'Hexagone à développer la numérisation des données personnelles de santé. "On a probablement dépensé plusieurs centaines de millions d'euros pour quelque chose qui est à pleurer et qui n'a pas d'intérêt médical pour les patients". Ce dernier cite quelques pays européens qui selon lui sont bien plus en avance dans le domaine, notamment les pays du Nord comme le Danemark ou la Lituanie. "L'Espagne aussi est en avance par rapport à nous, principalement en Catalogne et en Andalousie", précise-t-il. Pour rappel, en février 2019, la Commission européenne a déposé une recommandation visant à permettre aux citoyens de l'Union européenne d'accéder facilement et de manière sécurisée à leurs données médicales dans tous les états membres. 18 pays devraient échanger les dossiers des patients et les ordonnances électroniques d'ici fin 2021.