La vérité sur... l'état du dossier médical personnel

Challenges.fr - 23 avril 2009
Fanny Guinochet

Lancé en 2004 pour assurer une meilleure coordination des soins, donc faire réaliser des économies à l'assurance-maladie, le projet DMP dérive.

Texte original sur challenges.fr

« Dès 2010, une première version nationale du dossier médical personnel sera déployée. » La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, est tout sourire : « Les Français pourront ouvrir leur DMP chez leur médecin, à l'hôpital, et pourront le consulter sur Internet, comme un simple compte bancaire. » Et voici le serpent de mer du DMP qui resurgit. C'était le 9 avril. Cinq ans après sa première apparition publique. Le DMP ? Le dossier médical personnel, version électronique, qui réunira l'essentiel des données de santé du patient.

Irréalisme de A à Z

Lancé par le ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy en 2004, ce projet est, depuis, dans l'impasse. Le DMP ou Ubu roi. Sur le papier, l'idée est séduisante : plus de 63 millions d'assurés pourront avoir accès par Internet à un dossier informatisé sur leur santé. D'où une meilleure coordination des soins; de belles économies pour l'assurance-maladie... Emporté par son ambition, Douste-Blazy prévoyait une mise en service en 2007. Et ce alors même que la plupart des initiatives de ce type dans les autres pays, au Royaume-Uni notamment, ont pris au minimum dix ans.

Bien qu'un peu plus pragmatique dans son approche, Xavier Bertrand, son successeur à la Santé, s'est lui aussi laissé embarquer par les grandeurs du DMP. En 2006, il annonce déjà un déploiement national « à 1 milliard d'euros ».

Quand, un an plus tard, Roselyne Bachelot hérite du bébé, elle commande un audit à l'inspection du ministère, l'Igas. « Irréalisme du calendrier, irréalisme des moyens alloués, appels d'offres lancés dans le souci d'aller vite, expérimentations inabouties... » : les têtes de chapitre du rapport sont édifiantes. Bonne politique, la ministre revoit les objectifs à la baisse et choisit de faire profil bas. « Il y aura plusieurs étapes », explique-t-elle alors.

Il faut dire que le DMP est devenu la cible favorite de ceux qui dénoncent les gabegies de l'administration. A deux reprises, en septembre 2008 et en février 2009, la Cour des comptes étrille le projet. Le vice originel viendrait de la structure chargée de le mettre en place, le GIP-DMP. Ce groupement d'intérêt professionnel, doté de 15 millions d'euros de budget pour trois ans et de ressources humaines mal calibrées, a multiplié les lacunes de gestion sous la pression constante du politique, avide d'effets d'annonce.

Valse des têtes

Plus de quatre directeurs vont se succéder à la tête du GIP. Le dernier, Jacques Sauret, a été sèchement remercié à l'automne dernier. « Pour ne pas prendre de vraies décisions, on a multiplié les groupes de travail », explique un membre du conseil d'administration du GIP, qui se désole encore de ces heures perdues dans « un comité d'orientation gigantesque qui a compté jusqu'à 90 membres et où rien ne pouvait être tranché ». Trop de monde impliqué, de responsabilités diffuses. Et cela ne devrait pas s'arranger.

Dès l'été prochain, Roselyne Bachelot regroupera l'ensemble des maîtres d'ouvrage du DMP - y compris, bien sûr, le GIP-DMP - dans une grande agence, l'Asip, l'Agence des systèmes d'information partagés, en charge de toutes les questions d'e- santé. Mais cette fois, promet la ministre, il y aura de vrais pilotes.

Celui qui sera à la tête de la fameuse agence n'est autre que l'auteur du rapport vitriolé de l'Igas, Michel Gagneux. Il sera secondé par Jean-Yves Robin, directeur du GIP-DMP depuis décembre 2008. Un expert critiqué pour sa trop grande implication dans l'affaire, puisqu'il a dirigé Santeos, la filiale d'Atos, une des structures chargées de plancher sur le projet par le GIP-DMP.

On l'a compris, le DMP est un bon business. Autour duquel les grandes sociétés de services informatiques et télécoms tournent depuis longtemps. « Les industriels tels France Télécom, Cegedim, Atos... ont donné le tempo. Comme le GIP-DMP était incapable de prendre une décision, il s'est laissé embarquer par la technique », explique un ancien du GIP. Le rapport de l'Igas pointe d'ailleurs des dysfonctionnements dans « ces appels d'offres lancés de façon précipitée ». Le programme de relance du DMP prévoit un recours plus limité et plus encadré aux prestataires. Il a ainsi été décidé de ne recourir qu'à un seul hébergeur. Dans quelques semaines, un nouvel appel d'offres sera organisé dans ce sens.

Le recours à une solution unique va permettre de gagner en efficacité. D'autant que le cahier des charges abandonne des points qui ont longtemps bloqué les associations de patients et de médecins, et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). « On a perdu du temps, par exemple, en imaginant utiliser le numéro de Sécurité sociale, alors qu'il ne remplit pas toutes les conditions de confidentialité », reconnaît Michel Gagneux. Dont acte. Il est prévu que chaque titulaire ait un identifiant de santé, différent de celui de la Sécurité sociale, et un mot de passe temporaire à usage unique.

Autre avancée qui devrait apaiser les débats, le DMP sera volontaire, et non plus obligatoire. Il faudra donc convaincre. « Du côté des médecins, la partie n'est pas gagnée », explique Christian Espagno, vice-président de la Confédération des syndicats médicaux français. Ne serait-ce que parce qu'un bon tiers des médecins de ville n'utilisent pas l'informatique. Que beaucoup voient le DMP d'un mauvais oeil en raison de la charge de travail impliquée par sa gestion. Et surtout le vivent comme un traçage, voire un "flicage" de la pratique médicale. A l'inverse, 20% des hôpitaux publics disposent d'un système informatique propre d'échange des données des patients. L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a ainsi son propre... DMP. Qu'il faudra, bien sûr, rendre compatible avec le futur système national.

En cours de progrès

Tous ces atermoiements ont pour l'instant coûté à l'Etat 74 millions d'euros, dont 55 millions pour des expérimentations qui, pour la plupart, ont été stoppées en cours de route. Certains succès ont cependant été enregistrés, notamment à l'échelon local (lire encadré), ou encore le DP (dossier pharmaceutique) mis en place dans les officines en 2007. Ce qui permet à la ministre, qui souhaite désormais positiver sur cette affaire, d'affirmer que « l'argent dépensé pour les expérimentations n'est pas perdu puisque celles- ci sont utiles pour la relance du programme ».

Une relance pour laquelle un budget annuel d'environ 100 millions est prévu. Mais rien ne sera plus comme avant. Roselyne Bachelot a promis, le 9 avril, près de cinq ans après le lancement du projet DMP, qu'il y aurait une « meilleure coordination nationale ». Le DMP n'est pas mort. Et il n'a pas encore englouti les 6,5 milliards d'euros qu'il était censé faire économiser chaque année à la collectivité.

Le DMP permettra ...

... « d'économiser de 6,5 à 7 milliards d'euros par an »... Philippe Douste-Blazy, le 4 mai 2004. ... « une réduction importante des dépenses de soins pour un investissement de 1 milliard sur cinq ans »...
Xavier Bertrand, le 22 septembre 2006. ... « peut-être de générer des économies, mais ce n'est pas son but. » Roselyne Bachelot, le 9 avril 2009.