Probably not stupid
Thursday, September 25th, 2008C’est le titre d’une chronique du blog de Seth Godin, un expert du marketing. Il y explique que les gens qui paraissent stupides sont généralement simplement mal informés :
Your difficult boss, customer, prospect, voter, student… probably not stupid, probably just uninformed. There’s a huge difference.
Every person makes decisions based on their worldview and the data at hand. If two people have the same worldview and the same data, they’ll make the same decision, every time (unless they’re stupid.)
So, there are plenty of times where a lack of information leads to a bad decision. Plenty of times where an out of sync worldview leads to an out of sync decision.
When the board of directors embraces a fading old media model instead of embracing a strategy that leads to rapid growth, it’s probably because each of them started with a worldview about the way things worked and were going to work. Add to that little direct experience, and it’s no wonder they decided what they did. You would too if you were given the same resources to begin with.
Changing worldviews is very difficult and requires quite a bit of will. Changing the data at hand is a lot easier, and that’s where marketing can really help. If you, as a marketer, can package data in a way that people with a certain worldview can accept, you move the conversation forward far more quickly than if you merely dismiss the non-customers or the doubters as stupid.
In my experience, a closed-minded worldview (“I can’t read that book, I disagree with it”) is the most difficult hurdle to overcome. But a closed-minded worldview doesn’t mean you’re stupid, it means that you are selling yourself and your colleagues and your community short.
En résumé : les décisions mal avisées proviennent d’une vision limitée du monde, et, en tentant une traduction littérale de la dernière phrase, avoir une vision du monde étriquée ne signifie pas que vous êtes stupide, mais que vous vous vendez au rabais, ainsi que vos collègues et votre communauté.
Sages paroles qui trouvent une illustration immédiate avec un événement récent et savoureux mettant aux prises le Docteur Dominique Dupagne et le Groupement des Entreprises Françaises dans la Lutte contre le Cancer : le GEFLUC.
Le Docteur Dupagne milite contre la mise en oeuvre d’un dépistage de masse du cancer de la prostate.
Rappelons en deux mots que le dépistage de masse du cancer du sein a doublé le nombre de cas traités sans diminuer notablement la mortalité, car de nombreux cas sont peu ou pas évolutifs et n’auraient jamais fait parler d’eux.
On peut prédire une situation identique avec le cancer de la prostate car il est presque normal, à partir d’un certain âge d’avoir des cellules prostatiques cancéreuses qui ne feront généralement pas parler d’elles. Le fait de qualifier de cancer cet état quasi-physiologique et d’appliquer les traitements éradicateurs entraine bien souvent impuissance et/ou incontinence urinaire… avec, bien paradoxalement, les remerciements d’un patient facilement convaincu qu’on lui a sauvé la vie.
Bref, c’est un cas où il faut se garder des « évidences » et où le traditionnel aphorisme « mieux vaut prévenir que guérir » est plus que douteux.
Il faut également se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain et de mettre tous les dépistages dans le même panier : si les dépistages de masse sont généralement à proscrire, les dépistages individualisés, où la « puissance d’investigation » est corrélée à une évaluation éclairée du risque, ont généralement démontré leur utilité (hormis précisément pour la prostate, sauf chez certaines population à forte prédisposition génétique).
Revenons au Docteur Dupagne, qui est également fort éclairé en matière d’utilisation de l’Internet – où il anime Atoute, l’un des sites santé de plus forte audience. Pour donner un écho à sa campagne « Touche pas à ma prostate », il a eu l’idée de financer de ses deniers une publicité Google.
Et il se trouve que, détail amusant, cette publicité s’est trouvée publiée sur le site Internet du GEFLUC.
Le GEFLUC, manifestement atteint sur le sujet d’un closed-minded worldview comme dirait Seth Godin, et en tout cas fort peu au fait du fonctionnement des Google Adds, a répliqué par une lettre recommandée fort menaçante :
Tout le monde sait bien que ces publicités Google ne sont pas affichées de façon prévisibles par l’annonceur… et quand bien même ce serait le cas, on peut se demander pourquoi le GEFLUC a besoin d’afficher des publicités sur son site. D’ailleurs cet événement semble avoir amené le GEFLUC à se poser la question à lui-même puisqu’il affiche désormais un sondage à ce propos :
On peut s’interroger sur le sens du choix « supprimer lettr » (au delà de l’intérêt d’expérimenter la démarche récursive qui consiste à supprimer une lettre à l’expression « supprimer lettre »).
On peut également apprécier le glissement sémantique dans l’appréciation de la publicité qui serait « contraire à la doctrine » dans la lettre recommandée et « contraire à l’éthique » dans le sondage. Est-ce une maladroite tentative pour faire passer pour une doctrine de l’éthique ce qui n’est peut être qu’une éthique de la doctrine ?
Tout ceci prêterait à rire… mais ce serait occulter le fond du débat qui est bien de discuter si la « guerre contre le cancer » doit rester limitée à la force brute technologique, qui est objectivement un échec cuisant, ou si, au contraire, on doit d’urgence promouvoir une démarche beaucoup plus humaniste.
La raison incite à constater que les sommes considérables investies dans la lutte contre le cancer ont un effet très restreint (consulter les statistiques de mortalité par cancer du sein ces 20 dernières années est tout à fait édifiant) et que les démarches de dépistage de masse sont une triste fuite en avant où on semble espérer un miracle en généralisant des méthodes qui ont démontré leur faible efficacité au niveau local.
Dans un article de mars 2006 de la revue La Recherche titré « Cancer du sein: les illusions du dépistage », Michael Retsky, professeur de chirurgie à l’école de médecine de Harvard répondait de la façon suivante à la question "[En stoppant les dépistages de masse] on ne repèrerait plus de tumeurs aussi précocément qu’avant. Ne risquerait-on pas d’avoir des cancers plus difficiles à traiter ?" :
« C’est ce que soutient la logique populaire, en effet. Mais je crains que cela ne soit pas toujours le cas. Même traitées, certaines petites tumeurs provoqueront la mort de la patiente. Et d’autres, plus grosses, guériront facilement. »
« Il faut se méfier des dogmes tels que "mieux vaut traiter tôt un cancer", appuyait Michael Baum, chirurgien au University College de Londres dans le même article. Le cancer est un défi biologique, pas un défi chronologique. Tant que nous réfléchirons en termes de "tôt" et "tard" nous ne ferons pas de progrès en cancérologie. »
Ces évidences n’empêchent malheureusement pas les tenants d’une vision alternative de passer pour des êtres étranges qui refusent le progrès, alors même qu’ils connaissent suffisamment bien les bénéfices de la technologie pour l’utiliser à bon escient et ne pas en attendre plus que raisonnable. A contrario, les annonces fanfaronnes de traitements miracles ou de grands projets des tenants de la vision classique ne sont qu’une série de tristes déceptions… avec leur cortège de patients désespérés s’injectant eux-même des poisons qui n’ont démontré qu’un espoir d’efficacité chez le rat !
Que nous dit Seth Godin à propos de cette divergence de vue ?
The easiest way to grow is to sell to people who share a worldview that endorses your position. The most effective way to grow bigger than that is to inform those that disagree with your position–more data in a palatable form. And, unfortunately, it turns out that the best way to change the world is to open the closed-minded.
L’extension la plus aisée se fait en vendant aux gens qui partagent la même vision du monde que vous. La façon la plus efficace de faire mieux est d’informer ceux qui n’approuvent pas votre position — plus d’information présentée de façon accessible. Et, malheureusement, il s’avère que la meilleure façon de changer le monde est de permettre de s’ouvrir à ceux qui sont étroit d’esprit.
Belle leçon… et qui pourrait élégamment s’appliquer à la controverse entre Dominique Dupagne et le GEFLUC. Le GEFLUC est très certainement constitué de gens intelligents capables de comprendre qu’il est de leur intérêt de comprendre les paradigmes émergents en santé. Et il y aurait grand danger, pour les tenants de ces nouveaux paradigmes à se complaire dans le sentiment confortable, mais sans avenir, que leurs contradicteurs sont stupides.