Un combat invisible… et subtilement sémantique

C’est un beau texte du Journal des étudiants en médecine, mais la fin ne me plait pas ; elle utilise un vocabulaire daté et inapproprié. Je l’ai signalé à l’auteur, mais il m’a répondu qu’il n’était pas sûr que les lecteurs comprennent s’il adaptait son discours. J’ai décidé de faire le test… avec ci-dessous un texte modifié.

Alors voila 12 heures de garde avec M., nouvelle externe, inconnue au bataillon, deux ans plus jeune que moi. En 12 heures, j’observe sa manière de faire, assez épaté par sa douceur, son savoir-faire.
Elle examine les gens, pose ses mains avec dextérité, sait quoi regarder, où chercher, toujours avec d’infinies précautions.

Elle traite les patients tel un collectionneur ses porcelaines.
On échange deux/trois mots. M. a un petit accent charmant… Je réfléchis : "Italienne ? Roumaine ? Espagnole ?".
Le programme Erasmus a du bon : depuis sa création 1 million d’enfants sont nés grâce aux couples que cela a formé. Loin de moi l’idée de vouloir un bébé mais, à l’époque, je me souviens m’être dit que j’essaierais bien deux/trois fois avec elle (oui, oui on est tous pareils…).

12 heures passent.

Elle : "J’ai apprécié travailler avec toi mais tu parles trop vite pour que je comprenne".
- De quel pays viens-tu ?
- Je suis française.
Je me sens con, je dis :
- Mais, tu as ce petit accent…
Elle me sourit (ironie ? fierté incommensurable ?) et dit trois mots :
- Je suis sourde.
Elle soulève ses cheveux, montre son appareillage, avant d’ajouter :
- Et tu parles beaucoup trop vite pour que je lise sur tes lèvres correctement.

Il n’y a pas d’incapacité qui soit condamnée à constituer un handicap, je veux dire : il n’y a VRAIMENT pas d’incapacité qui soit condamné à constituer un handicap.

Je n’ai modifié que la phrase finale, qui disait "Il n’y a pas de handicap qui ne puisse pas être battu"

La terminologie moderne distingue bien la limitation fonctionnelle ou l’incapacité qui qualifient la personne et le handicap qui désigne l’interaction entre cette personne et son environnement.

Le terme handicap devrait être réservé au manque d’adaptation d’un environnement à une limitation ou une incapacité. L’utiliser pour désigner l’ensemble, c’est risquer d’être ambigu, mais surtout adopter une logique implicitement passive.

Il y a un écart considérable entre affirmer Vous êtes handicapé (c’est triste, mais on n’y peut rien) et Cet environnement inadapté vous handicape (et il faut qu’on l’adapte).

One Response to “Un combat invisible… et subtilement sémantique”

  1. HTL Says:

    La beauté qui émane de ce texte, celle qui m’éblouit, c’est la victoire humble et silencieuse de cette belle personne sur son incapacité. Je suis d’accord avec la nuance sémantique entre incapacité et handicap. Mais ce qui m’a frappé dans cette histoire, c’est que ce n’est pas l’adaptation de l’environnement qui a empêché l’incapacité de cette consoeur de devenir handicap, c’est elle qui l’a vaincue toute seule.

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