Archive for the ‘Français’ Category

Grande année 2022 pour la course au large

Sunday, January 1st, 2023

Crédit vidéo : PolaRYSE / FFVoile

Le cardiologue, Knock ou doudou ?

Saturday, November 26th, 2022

Les patients qui étaient vus toutes les années pour rien par le confrère parti à la retraite ont du mal à décrocher. Malgré mes explications, ils continuent à prendre rendez-vous « pour un contrôle ».
Évidement, à côté, je refuse des patients qui voudraient me voir parce que ça ne va pas. 🤬🤬🤬
En fait, c’était Knock, mais en vrai.

Je l’ai déjà dit, mais un jour, j’ai compris un truc fondamental du métier de cardiologue. Ça a fait un déclic, et ma vision du métier a changé.
On nous voit comme arrogants, faisant une spécialité complexe et effrayante, et très techniciens.
Il y a du vrai (pour l’arrogance, notamment). Mais la vérité fondamentale de notre spé est ailleurs.
Nous sommes les doudous des autres médecins et des patients. Comme les doudous, nous rassurons bien plus que nous protégeons contre les dangers.

Objectivement, je passe mes journées à rassurer des confrères (simplement hier: DDimeres à 6 chez une dame de 96 ans, pas dyspnéique), ou les patients.
Pour ces derniers, je passe les journées à confirmer à des adultes qui font n’importe quoi (tabac, alcool, gras, sel, sédentarité marmoréenne, cocaine, cannabis) que ce n’est pas bon pour leur santé.
Et finalement mon intervention change vraiment la vie de très peu de patients, peut-être 1/10.
Mon métier, en vrai, c’est doudou.

Le confrère qui est parti et sur lequel je peste depuis des mois est en fait bien plus intelligent que moi.
Il a compris ça bien avant moi, et il a décidé d’en faire son métier.
Il voyait bien 80-85% de gens qui n’avaient rien toutes les années. Ça les rassurait et ça rassurait leur MG, tout le monde était content. C’était un très bon doudou.
Moi, je suis un mauvais doudou. J’aimerais bien soigner objectivement les patients. Mais c’est compliqué.

J’ai encore un peu de force, c’est pour la donner !

Monday, September 19th, 2022

Au début du mois de septembre, la grande résistante Madeleine Riffaud, 98 ans, a vécu un calvaire à l’Hôpital Lariboisière. Elle a été abandonnée sur un brancard sans manger pendant 24 heures. Dans cette tribune à l’intention de Nicolas Revel, Directeur de l’APHP, elle dénonce l’état révoltant de l’hôpital public.

Il y a deux semaines, j’ai dû me rendre aux urgences pour un examen important dû à un covid long, variant omicron.

Le SAMU m’a emmenée à l’hôpital Lariboisière, à midi et demi, le dimanche 4 septembre pour examens. Je me suis retrouvée couchée au milieu de malades qui hurlaient de douleur, de rage, d’abandon, que sais-je. Et les infirmières couraient là-dedans, débordées… Elles distribuaient des « J’arrive ! » et des « ça marche ! » « J’arrive, j’arrive ! ». Mais personne n’arrivait. Jamais.

Moi-même, j’ai mis douze heures pour obtenir la moitié d’un verre d’une eau douteuse. Tiède. Je suis restée 24 heures sur le même brancard, sans rien manger, dans un no man’s land. C’était Kafka.

Rendez-vous compte : je suis aveugle. Je sentais parfois qu’on emportait mon brancard, que je traversais une cour, peut-être ? Il faisait plus froid, c’est tout ce que je peux dire. Et puis on m’a laissée là, sans aucune affaire, sans moyen de communication avec mes proches (qu’on ne prévenait d’ailleurs pas de l’évolution de la situation, seul le docteur Christophe Prudhomme a pu avoir quelques nouvelles, je le remercie ici).

Étais-je dans un couloir ? Dans une salle commune ? Au bout d’un moment, j’ai vraiment cru que je devenais folle. Ah, si j’avais eu un appareil photo comme quand j’étais reporter de guerre… Si j’avais pu voir ce que j’entendais… Dès l’arrivée à l’hôpital, mon ambulance est passée devant des gens d’une absolue pauvreté, qui se plaignaient à grands cris d’avoir été refoulés.

Drogue ? Misère sociale ?

Ceux-là n’ont même pas été admis dans « le service-porte », la foire aux malades, l’antichambre de l’hôpital par où l’on accède aux urgences. Les infirmières, qui n’ont déjà pas assez de temps à consacrer aux malades admis entre les murs, les voient forcément quand elles vont prendre leur service.

Nul doute que leur vocation est réduite en charpie depuis longtemps. D’où les « Ça marche », les « J’arrive. » J’ai entendu ça toute la nuit.

Les infirmières et aides-soignants, je les connais bien, j’ai vécu parmi eux, je sais qu’elles auraient éperdument voulu arriver à s’occuper de chacun… Et surtout que l’hôpital marche.

Le lendemain après-midi, l’hôpital n’ayant pas de lit disponible pour moi, on m’a transférée dans une clinique privée, sans jamais avoir prévenu mes proches. J’étais la troisième âme errante que cette clinique réceptionnait ce jour-là.

J’avais déjà fait une enquête de l’intérieur en 1974, en m’engageant incognito comme aide-soignante dans un service de chirurgie cardio-vasculaire d’un hôpital parisien. J’avais aussi travaillé au SAMU dans le service du professeur Huguenard à l’hôpital Mondor. De cette immersion, j’ai publié le livre « Les linges de la nuit » qui s’est vendu à près d’un million d’exemplaires en 1974 (réédité chez Michel Laffont en 2021).

Hôpital d’il y a cinquante ans ou hôpital ultramoderne, les problèmes sont toujours les mêmes : manque de personnel qualifié, manque de crédit, l’écart se creuse entre la technique de la médecine de pointe et les moyens mis à sa disposition.

Après la sortie du livre, j’avais rencontré le directeur de l’Assistance Publique dans un face à face télévisé. Nous étions tombés d’accord sur tous les points ! Tout le monde est d’accord, sauf les gouvernements qui se suivent et qui, au mieux, ne bougent pas.

Nous avions été nombreux, au cours des années, à témoigner sur l’état lamentable de la santé. Durant tout ce temps, aucun dirigeant n’a voulu entendre. Si la pandémie de 2020 a changé quelque chose, c’est en mal&nbsp,: le personnel est épuisé. L’état les a tous abandonnés, soignants comme malades.

Ma mésaventure, c’est une histoire quotidienne dans l’hôpital en France.

Mon sort est celui de millions de Parisiens et de Français.

Ceux qui me connaissent savent que je n’ai jamais demandé de passe-droit de toute ma vie. Mon âge n’y change rien. Mais j’ai remarqué qu’il était presque une circonstance aggravante, et ce pour deux raisons :

  1. On pensait que j’étais trop vieille pour que ça vaille la peine de me soigner (réflexe pris lors de l’épidémie de covid ?).
  2. Dès que je parlais, on se disait que j’étais gâteuse et on pensait d’emblée que je racontais n’importe quoi… alors pas la peine de m’écouter.

Pourtant, j’ai une voix. Une voix qui ne s’en est jamais prise au personnel. Ça ne changera pas.

Évidemment, j’ai mal, mais je vais continuer à me bagarrer, comme d’habitude.

Moi, j’ai de la chance, j’ai des amis, et des confrères journalistes. Mais tous ces pauvres gens qui n’ont personne, que peuvent-ils faire ? Quand on entre dans le circuit infernal, quand on est aspirés dans le néant des urgences, on ne peut pas en sortir indemne. Parfois même, on n’en sort pas vivant… L’infirmier libéral qui vient à mon domicile m’a dit que c’était arrivé à un de ses patients, il y a trois semaines.

Si je peux être leur voix – comme Aubrac m’avait demandé d’être l’une de celle de la Résistance – alors je le serai.

J’ai encore un peu de force, c’est pour la donner !

Madeleine Riffaud

Paris, le 19 septembre 2022

Texte original

Sans vous !

Monday, September 12th, 2022

Même dans l’obscurité totale, l’Ukraine et le monde civilisé voient clairement ces actes terroristes.
Des attaques de missiles délibérées et cyniques sur des infrastructures civiles critiques. Pas de cibles militaires. Les régions de Kharkiv et de Donetsk privées d’électricité. Zaporizhzhia, Dnipropetrovsk, Sumy, toutes partiellement privées de courant.

Pensez-vous toujours que nous ne sommes « qu’un seul peuple » ?
Pensez-vous encore que vous pouvez nous effrayer, nous briser, nous persuader de faire des concessions ?
Vous ne comprenez donc vraiment rien ?
Vous ne comprenez donc pas qui nous sommes ? Ce que nous défendons ? De quoi il s’agit pour nous ?

Lisez sur mes lèvres :
Sans gaz ou sans vous ? Sans vous.
Sans électricité ou sans vous ? Sans vous.
Sans eau ou sans vous ? Sans vous.
Sans nourriture ou sans vous ? Sans vous.
Parce que pour nous le froid, la faim, l’obscurité et la soif ne sont pas aussi terribles et mortels pour nous que votre « amitié et fraternité ».

Mais l’histoire remettra tout à sa place.

Nous aurons du gaz, de la lumière, de l’eau et de la nourriture… et tout cela, nous l’aurons SANS vous !


Volodymyr Zelensky, Président de l’Ukraine

L’outil convivial

Monday, August 29th, 2022

Ivan Illich décrit l’outil convivial dans La Convivialité

L’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage qui travaille à sa place. Or il est manifeste aujourd’hui que c’est l’outil qui de l’homme fait son esclave. L’outil simple, pauvre, transparent est un humble serviteur ; l’outil élaboré, complexe, secret est un maître arrogant. L’outil maniable est conducteur d’énergie métabolique (endosomatique) ; la main, le pied ont prise sur lui. L’énergie qu’il réclame est productible par quiconque mange et respire. L’outil manipulable est mû, au moins en partie, par l’énergie extérieure (exosomatique). Il peut dépasser l’échelle humaine ; l’énergie fournie par le pilote d’un avion supersonique ne représente plus une part significative de l’énergie consommée en vol. L’outil maniable appelle l’usage convivial.

L’outil reste convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent qu’il le désire. Personne n’a besoin d’un diplôme pour avoir le droit de s’en servir. L’outil juste répond à trois exigences : il est générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle, il ne suscite ni esclaves ni maîtres, il élargit le rayon d’action personnel. J’appelle société conviviale une société ou l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil.

Douces courbes

Monday, August 15th, 2022

Les douces courbes innombrables qui font d'un corps de femme, pour l'homme qui en est amoureux, un paysage qu'il n'en finit pas de découvrir et que chaque mouvement rend nouveau comme au jour de la création.

René Barjavel
Le Grand Secret (1973)

La fin des choses

Saturday, July 16th, 2022


Les informations sont additives, et non narratives. Elles peuvent être comptées, mais pas racontées. En tant qu’unités discontinues dotées d’une brève bande passante d’actualité, elles ne s’assemblent pas pour former une histoire. Notre espace mnésique, lui aussi, ressemble de plus en plus à un grenier débordant de toutes les informations possibles. Mais addition et accumulation refoulent les narrations. La continuité narrative qui s’étend sur de vastes laps de temps caractérise l’histoire et le souvenir. Seules les narrations créent du sens et du contexte. L’ordre numérique est sans histoire ni souvenir. C’est ainsi qu’il fragmente la vie.

Cet extrait de "La fin des choseséquot; de Byung-Chul Han (Actes Sud) explique superbement l’échec de l’informatisation de la médecine et le terrible cul de sac dans lequel DMP et interopérabilité conduisent la médecine.

Prenez garde aux choses que vous dites

Sunday, May 22nd, 2022

Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites.
Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes.
Tout, la haine et le deuil ! – Et ne m’objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas… -
Écoutez bien ceci :

Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l’oreille au plus mystérieux
De vos amis de cœur, ou, si vous l’aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d’une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu ;
Ce mot que vous croyez que l’on n’a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l’ombre !
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin.
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
- Au besoin, il prendrait des ailes, comme l’aigle ! -
Il vous échappe, il fuit, rien ne l’arrêtera.
Il suit le quai, franchit la place, et cætera,
Passe l’eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez l’individu dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l’étage ; il a la clé,
Il monte l’escalier, ouvre la porte, passe,
Entre, arrive, et, railleur, regardant l’homme en face,
Dit : – Me voilà ! je sors de la bouche d’un tel. -

Et c’est fait. Vous avez un ennemi mortel.

Victor Hugo, Toute la lyre

Un secret fondamental du monde

Sunday, May 15th, 2022

Le Magazine du monde du 16 avril 2022 contient un bel article d’Emmanuel Grynszpan (@EmGryn) nommé Odessa, histoire d’un mythe. On y trouve ce superbe paragraphe tiré du livre Les Cinq de Vladimir Ze’ev Jabotinsky  :


Des dizaines de tribus peuplaient Odessa, toutes plus extravagantes, pittoresques et curieuses les unes que les autres. Au début, on riait les uns des autres. Puis on a appris à rire de soi. Puis de tout, même de ce qui blesse et de ce que l’on aime. Peu à peu, les habitants ont désappris à prendre au sérieux leurs propres autels. Ainsi, ils ont progressivement découvert un secret fondamental du monde : ce qui est sacré pour toi n’est que baliverne pour ton voisin, qui n’est pour autant ni un voleur ni un clochard. Qu’il ait raison ou tort, il ne faut pas le tuer.

Quand la dernière balle aura été tirée…

Wednesday, March 30th, 2022

Dans Kaputt, Malaparte raconte comment, pendant l’opération Barbarossa, les soldats allemands utilisent les cadavres des soldats russes comme des panneaux indicateurs. Il fait -30. Les corps gelés sont installés debout au bord de la route, le bras tendu vers la direction voulue.

Aujourd’hui, des vidéos circulent ici, qui montrent un soldat ukrainien pisser sur un soldat russe tué, pour faire fondre la neige accumulée sur son visage. C’est rigolo. Un autre Ukrainien appelle avec le portable d’un autre soldat tué, sa propre mère pour se moquer d’elle.

Il y a aussi ce visage de gamin russe dont les yeux ne sont plus dans leurs orbites, et qui provoque le rire de celui qui filme, ce cadavre dévoré par les chiens errants, et encore le rire, ces corps entassés, toujours ces rires, jusqu’à la nausée. Et ces vidéos sont partagées.

Les soldats russes ne sont plus des humains, mais de l’engrais pour fertiliser les sols, des pièces de boucherie, de la bouffe pour les chiens, des marionnettes organiques avec lesquelles on peut jouer en riant franchement aux éclats.

En un mois, la guerre a fait d’hommes ordinaires, des sadiques et des salauds, le vernis de la civilisation a vite craqué. Question de survie ? Pour tuer, il est plus facile de nier l’humanité de celui sur lequel on tire, alors on lui pisse dessus. Les Russes ne font pas mieux.

Sauf qu’en déshumanisant l’ennemi, ces hommes se déshumanisent aussi. Les Ukrainiens mènent une guerre « juste ». Mais la guerre s’en cogne : elle souille le tueur autant que le tué, l’agresseur comme l’agressé.

Quand la dernière balle aura été tirée, la dernière goutte d’urine, pissée, le dernier rire, ravalé, tout le monde aura perdu. Et, par ricochet, parce que nous sommes des humains comme eux, ni mieux, ni pires, nous aussi, nous aurons perdu. Same old shit.

Nicolas Delesalle (@KoliaDelesalle) est grand reporter à Paris Match. Il couvre actuellement l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe.

Petit thread (fatigué) sur les avis de la CNIL

Wednesday, October 6th, 2021

Un fil Twitter de Jean-Marc Manach (@manhack) :

#JORF – Avis @CNIL sur les projets de décrets :

Petit #thread (fatigué) sur les avis de la @CNIL :

En 1978, le Parlement adoptait la loi informatique et libertés portant création de la CNIL, dont les avis faisaient autorité, et devaient être suivis ("avis conformes") par le gouvernement.

En 2004, le Parlement transposait une Directive européenne et adoptait une refonte de ladite loi informatique et libertés, particulièrement originale : s’il ne la respecte pas, l’État ne risque pratiquement rien.

Par exemple, s’il veut créer de nouveaux fichiers régaliens policiers ou de santé, le gouvernement devait toujours, certes, demander son avis à la Cnil.
Mais il n’était plus obligé d’en tenir compte…
Depuis 2004, les avis de la @CNIL ne sont plus que "consultatifs". #FAIL

Cette même CNIL avait, cela dit, en contrepartie, gagné la possibilité de pouvoir infliger des amendes aux contrevenants.
Sauf à l’État.
Le tout avec, comme rapporteur au Sénat, celui qui, à l’époque, était aussi le président de… la @CNIL

Cela fait donc des années que je tente de comparer les avis de la CNIL sur les "projets de décrets" avec les décrets tels qu’ils sont finalement publiés par le gouvernement.
Minus le fait qu’ils ne sont parfois pas publiés ou, comme en l’espèce avec le DMP, avec retard (non expliqué).

Ni la CNIL ni le gouvernement ne rendent en effet publics les éléments pointés du doigt par la 1ère et qui ont (ou pas) été pris en compte par le 2nd.
Et comme ils sont tous deux écrits par et pour des juristes (ce que je ne suis pas),
Et dans une mise en page pas du tout ergonomique #JORF…

Exemple : le décret relatif au dossier médical partagé avait été publié au #JORF le 4 août dernier, mais pas l’avis de la CNIL, qui ne l’a donc été que ce jour (voir plus haut, et encore merci @rabenou !-).

Le décret dispose que lorsque le titulaire d’un DMP créé avant le 1er janvier 2022 s’oppose à la création de son espace numérique en santé (ENS, qui vise à faciliter l’accès et la gestion des données de santé aux patients et aux professions médicales), son DMP reste ouvert pendant une période transitoire d’un an à compter du 1er janvier 2022.
Mais également, et étrangement, que « Pendant cette période transitoire, le titulaire ne peut pas accéder directement à son dossier médical partagé. »

De plus, « Seuls les professionnels dûment habilités conservent la possibilité d’intégrer des données dans le dossier, de le consulter, dans les conditions définies par le code de la santé publique » (CSP).

Or, l’avis de la CNIL estimait que le projet de décret était « contraire aux dispositions de l’article L. 1111-19 » du CSP qui permet d’accéder à son DMP, à la liste des professionnels qui y ont accès, ainsi qu’aux traces d’accès à son dossier.

Selon le ministère, des raisons budgétaires ne permettent pas de maintenir une interface « permettant à ce titulaire d’accéder directement à son DMP »… #WTF
Le titulaire « pourra néanmoins accéder au contenu du DMP par l’intermédiaire d’un professionnel de santé »… #WTFbis

La @CNIL n’a donc pas été entendue.
Elle relevait en outre que le dispositif n’est pas conforme aux dispositions de l’article L. 1111-14 du CSP qui prévoient qu’« à l’issue de cette période transitoire, l’espace numérique de santé est ouvert automatiquement, sauf confirmation de l’opposition de la personne ou de son représentant légal. Cette nouvelle opposition donne lieu à la clôture du dossier médical partagé ».

Il en résulte qu’en l’absence de confirmation de l’opposition à l’ouverture de l’ENS, celui-ci sera automatiquement ouvert, entraînant ainsi le maintien du DMP préexistant.
Vous avez compris ? Moi, non, enfin pas vraiment.

La CNIL demandait « donc que le projet de décret soit modifié afin de prévoir que la clôture du DMP n’interviendra qu’en cas de nouvelle opposition à l’ouverture de l’ENS. »

En l’espèce, le décret dispose que « Dans un délai de deux mois précédant la fin de cette période transitoire, et au plus tard le 31 décembre 2022, le titulaire du dossier médical partagé est informé, selon les mêmes modalités que celles relatives à l’ouverture de l’ENS, que la confirmation de son opposition à la création de son espace numérique de santé entraînera la clôture de son dossier médical partagé. »
La CNIL aurait donc (si j’ai bien compris, je ne suis pas juriste) été entendue sur ce point-là.

Sauf que la conclusion de l’avis de la CNIL #fatigue :
« En l’absence d’informations concernant la mise en œuvre du traitement envisagé et la sécurité des données traitées, la Commission n’est pas en mesure de vérifier la conformité du traitement au RGPD, et prend acte de ce que le ministère a prévu de lui adresser des demandes de conseil sur ces questions. »
Et là, ben… on ne sait pas, l’avis de la CNIL sur le projet de décret, pas plus que le décret finalement publié, ne revenant sur ces "demandes de conseil" et questions.

Tout juste apprend-on que « La Commission prend acte de ce que l’Analyse d’impact relative à la protection des données qui lui sera transmise sera mise à jour au fur et à mesure de l’avancement du projet, et souhaite en être destinataire avant chaque jalon de déploiement. »

En l’état, je ne peux donc guère écrire d’article (je suis journaliste) sur ce décret DMP, faute de lisibilité ; et ce, sans parler de la complexité du droit en la matière, non plus que du volume croissant de systèmes d’informat(isat)ion des données de santé…

Et je suis fatigué de devoir comparer les avis de la @CNIL sur les "projets de décret" avec ceux qui sont finalement publiés par le gouvernement, alors qu’il y a forcément des gens, de part et d’autres, qui font le job et qui pourraient le rendre public, en termes de transparence.

Ce qui, in fine, ne pourrait que contribuer à renforcer la confiance dans nos institutions, alors que le gouvernement n’a de cesse d’ètre accusé d’en faire trop (ou pas assez) sur ces questions, et que la @CNIL est elle aussi accusée d’en faire trop (ou pas assez), alors qu’en fait on n’en sait trop rien, faute pour les gens qui s’y connaissent un tantinet sur ces questions de comprendre ce qui est fait (ou pas), le diable se nichant souvent dans les petits détails…
Et j’essaierai de mettre ce #thread à jour, si possible.

Et ce, d’autant qu’on croule sous l’ultracrépidarianisme (comportement consistant à donner son avis sur des sujets à propos desquels on n’a pas de compétence crédible ou démontrée) et l’effet Dunning-Kruger, ce biais cognitif controversé par lequel les moins qualifiés dans un domaine pourraient surestimer leur compétence.

Je ne sais pas combien de dizaines (de dizaines ?) d’heures j’ai pu passer, depuis… 17 ans maintenant, à comparer les avis de la CNIL sur les projets de décret aux décrets publiés.
Pour, dans la majorité des cas, ne rien pouvoir en faire… #FAIL

C’est d’autant plus déplorable que je suis conscient du fait que, de part et d’autre, tant du côté du gouvernement que de la CNIL, il y a des gens, (hauts) fonctionnaires et juristes qui tentent de service l’intérêt général… mais sans être audibles, ni compris.

Au final, on en arrive à une telle absence de lisibilité que ce qui ressort, ce qui reste, c’est une vision caricaturale et biaisée en mode :

  • le gouvernement nous enfume
  • la CNIL ne sert à rien

… alors que ben non en fait, le monde n’est pas en N/B
#NousSachons
#FacePalm

Troisième dose

Thursday, August 26th, 2021

Un fil Twitter d’Antoine Flahault (@FLAHAULT)

La 3ème dose, parlons-en. Sans tabou, sans préjugés.
Il va s’accumuler avec le temps (et la baisse progressive de l’immunité) des preuves que la 3ème dose augmente significativement l’immunité. Les fabricants, des experts, et les politiques les utiliseront comme argument.

À terme, ils auront probablement raison, mais à quel terme ? Et faut-il sur ce genre de question avoir raison trop tôt, plus tôt que les autres ? Ce n’est pas sûr.
Voyons pourquoi.

Aujourd’hui, le taux d’anticorps baisse avec le temps, et semble-t-il le risque d’infection augmente plus ou moins proportionnellement, mais pas celui d’infections graves, du moins en population générale (ni même chez les personnes âgées).

Il n’y a donc pas encore de preuves scientifiques décisives pour recommander la 3ème dose en population générale. Cette 3ème dose est déjà plus acceptable chez les plus de 80 ans, et bien sûr nécessaire en cas d’immunodéficit prouvé.

En revanche si 1/3 de la planète a reçu au moins une dose (5 milliards de doses ont été délivrées en 9 mois), seuls 1,4% des populations des pays pauvres est vaccinée. Cette 3ème dose va anéantir toute chance de vacciner rapidement le reste de la planète, est-ce lucide ?

Les dirigeants politiques se débattent avec la pandémie, et dans les pays riches, ils auront l’impression de « faire quelque chose » pour leur peuple avec cette 3ème dose, et espéreront éviter de nouveaux confinements, mais sans, bien sûr, aucune preuve à ce sujet.

Les fabricants seront ravis de revendre une 3ème dose (puis une 4ème) à des pays solvables plutôt que d’avoir à les donner à prix coûtant au Burkina Faso, au Cambodge ou à la Bolivie.

Des experts, sachant qu’à terme l’avenir leur donnera raison, et voulant l’immunité la plus rutilante possible, chercheront à faire grimper les anticorps des cohortes dont ils ont la charge. Et cela fonctionnera.

Y aura-t-il des voix suffisamment fortes pour soutenir le moratoire de la 3ème dose ?
3ème dose sans fondement scientifique actuel solide, relevant d’une vision court-termiste sur le plan global, ne règlant pas les problèmes plus complexes que nous devons d’abord affronter ?

D’abord, vaccinons toute la population éligible partout dans le monde à commencer par chez soi.
D’abord, maintenons le niveau le plus bas de transmission communautaire.
D’abord, sécurisons les écoles, les transports, tous les lieux clos.
D’abord, contrôlons nos frontières.

De l’art comme rouage interne du capitalisme de surveillance

Wednesday, March 3rd, 2021

Podcast original sur le site de France culture.

Fred Turner (@fturner) est professeur de communication à l’Université de Stanford. La Silicon Valley est au cœur de son travail, et notamment les relations qu’y entretiennent l’art et la technologie. Il s’intéresse dans "L’usage de l’art" (éditions C&F) au recours à l’art dans les entreprises numériques. Il est interviewé par Zoé Sfez (@zoesfez).


ZS : Pourquoi l’art est-il un prisme pertinent pour comprendre les grandes entreprises du numérique et la manière dont elles façonnent notre monde ?

Je suis persuadé qu’il nous faut appréhender Google et Facebook différemment pour comprendre la culture que ces deux entreprises charrient : nous les voyons comme des entreprises de la tech, comme de simples interfaces. Mais nous avons du mal à comprendre ce qu’il s’y passe vraiment et à voir qu’elles portent une vision du monde. C’est cela que l’art vient éclairer. Pénétrer dans leurs bureaux, comprendre la place que l’art y joue nous donne des clés très précieuses pour comprendre leur système de croyance.
J’ai commencé à travailler sur cela quand j’ai fait une visite chez Google en 2006, qui m’a beaucoup surpris : je m’attendais à trouver une entreprise d’informatique avec des hommes en costume, mais le hall était couvert de photos du Burning man. C’est un festival qui a lieu tous les ans dans le désert californien, à plus de dix heures en voiture de la Silicon Valley. Vous achetez un billet qui coûte près de 400 dollars, et vous construisez en plein désert une cité éphémère, pendant une semaine. Vous vivez en groupe dans un camp en apportant votre nourriture, vous n’avez pas le droit d’échanger de l’argent, vous devez juste créer de l’art. Et à la fin de la semaine, il y a cette grande sculpture d’homme que l’on brûle symboliquement. À ses débuts, le festival ne réunissait qu’une centaine de personnes, aujourd’hui c’est plusieurs dizaines de milliers, quarante, cinquante mille. Et j’ai vite compris qu’il était central dans la culture de Google. En 99, la boite a fermé pour que les gens puissent y aller !

Le lien entre les deux est évident : en réalité, pour réussir à Burning Man, vous devez trouver un groupe de gens avec qui monter un projet artistique et le réaliser dans les conditions extrêmes. Il fait très chaud, il n’y a pas d’électricité… En un mot, c’est exactement comme travailler dans la Silicon Valley ! Quand vous êtes ingénieur chez Google, vous travaillez en équipe pour développer de nouveaux projets, vous collaborez dans des conditions difficiles et vous êtes fiers d’y être parvenus ! Au Burning Man, vous vivez selon les valeurs de Google, vous êtes chef de projet mais vous le ressentez comme une fête et non comme un travail. Par ailleurs, Burning Man est presque une expérience religieuse. On sait le rôle qu’a joué le protestantisme dans l’avènement du capitalisme industriel, ce festival joue le même rôle dans les nouvelles formes d’exploitation.


ZS : Vous avez beaucoup travaillé sur les liens entre Google et le festival Burning Man. Vous avez également enquêté chez Facebook où l’art joue un rôle déterminant dans le management ; l’entreprise investit en interne au sein de laboratoires avec des artistes qui travaillent pour le siège de Facebook. Quelle est la différence du rapport à l’art entre ces entreprises numériques et les entreprises capitalistes traditionnelles telles que la banques ou les groupes de luxe ?

J’ai découvert l’existence de ces programmes artistiques de la même manière, en visitant les locaux de Facebook. Le hall d’entrée est couvert de posters un peu hippies, avec des slogans comme « Sois ouvert », « Black Lives Matter » etc… Je me suis demandé ce que ces messages politiques faisaient là. Dans les bureaux du siège, j’ai aussi découvert de grandes fresques murales de très belle qualité, des chefs d’œuvre du street art. C’est là que l’usage de l’art a changé : chez Facebook, on investit dans un art qui est destiné non pas au grand public, mais aux salariés ! Ils ont la sensation grâce à cela de vivre dans une sorte de cité idéale.
C’est très différent de ce qui se passe ailleurs, dans d’autres industries, à New York ou à Paris. Au XIXe et XXe siècles, les entreprises achetaient de l’art pour assoir leur statut. Prenez par exemple la City Bank, qui a beaucoup investi dans des sculptures à Manhattan. Le but était à la fois de « rendre » au grand public, et de démontrer la puissance de l’entreprise. Facebook se voit comme une entreprise qui œuvre déjà pour le bien commun. L’art n’est pas là pour défendre une image en externe, mais pour nourrir un fantasme chez les salariés : celui qu’ils créent quelque chose de beau. Pour mieux comprendre à quel point cela est étrange, prenons par exemple ce poster, créé par l’Analog Research Laboratory, un département interne chez Facebook dédié à l’art, presque à la propagande. Ils ont créé un poster qui représente Dolores Huerta, une syndicaliste célèbre. La dernière chose que Facebook veut pourtant, c’est bien un syndicat ! Mais Dolores Huerta est un bon symbole de la culture latino, et en la transformant en dessin, on en oublie son action politique : elle devient inspirante. C’est ce que fait Facebook : prendre notre expérience de vie, en faire des « stories », des images et des contenus qui circulent. À l’intérieur de l’entreprise, l’art est là pour dire aux codeurs que ce travail est non seulement valide mais utile.


ZS : Selon vous Fred Turner, l’usage de l’art qui est fait par ces entreprises, vise à brouiller la frontière entre vie privée et accomplissement au sein de l’entreprise ; c’est ce qu’on a appelé le management libéré. Mais vous allez encore plus loin car cet usage de l’art serait intimement lié au capitalisme de surveillance qui a été développé par la chercheuse Shoshana Zuboff.

Vous savez, lorsque nous fournissons des informations sur nous, qui alimentent ce capitalisme de surveillance au profit d’entreprises telles que Facebook, c’est parce qu’elles nous font une promesse : celle de nous donner du pouvoir, ce qui nous convient, ce que nous voulons. Et évidemment, cette promesse cache ce qui est en train de se passer réellement : un échange de données qui profite beaucoup plus à l’entreprise qu’aux utilisateurs. En réalité, c’est un acte d’exploitation de nos données, présenté comme un moment d’interaction collaborative.
Ce qui est intéressant, c’est que cet idéal d’un monde plus collaboratif, plus engagé a animé toute la contre-culture californienne. Ce que des entreprises telles que Facebook font, c’est de transformer ce désir très raisonnable en processus de surveillance, profitable pour eux. Et dans le même temps, nous empêcher de travailler réellement à construire le monde que nous souhaitons.
Mais qu’est-ce que l’art a à voir là-dedans ? À l’intérieur de Google, du Burning Man, de Facebook, l’art est une technologie qui permet aux ingénieurs de se tromper eux-mêmes sur la nature de ce qu’ils font vraiment. L’art les aide à imaginer que le monde du capitalisme de surveillance qu’ils sont en train de faire advenir est en fait voué à améliorer leur propre vie, en construisant les réseaux auxquels ils aspirent. C’est une sorte de processus masqué au sein des entreprises. En réalité, l’art a toujours joué ce rôle. Quand on pense aux peintures du 18e siècle, ces paysages bucoliques, avec des arbres, des poissons, des fleurs, ce sont de très belles œuvres mais elles masquaient la violence avec laquelle le pouvoir prenait la terre aux gens ordinaires. De ce point de vue, l’usage de l’art que je décris ici n’est pas très éloigné de sa fonction traditionnelle.
En revanche, il faut noter est que le monde de l’art en Californie et le monde de l’art à New York sont très distincts. Les galeries new-yorkaises veulent toutes venir en Californie, car c’est là bas que l’argent se trouve. Elles pensent qu’elles peuvent vendre de l’art comme à New York. Mais ça ne marche jamais, et elles finissent systématiquement par repartir. À côté de ça, le Burning Man devient chaque année plus important et la collection d’art de Facebook ne cesse de s’agrandir. Ce qu’il se passe dans ces grandes entreprises, c’est qu’il y a en fait une culture différente de l’art, complètement connectée au capitalisme de surveillance en ce qu’elle le rend possible et acceptable.


ZS : Nous sortons d’une année assez difficile avec une pandémie mondiale où nous sommes devenus davantage dépendants aux outils numériques et aux plateformes. Notre rapport à l’art et à la culture est beaucoup passé par le biais du numérique. Nous avons l’impression que cet art qui est typiquement calibré pour une culture californienne et virtuelle est en passe de l’importer. Pensez-vous qu’il est possible aujourd’hui que cette culture de l’art, cet usage californien, puisse l’emporter sur des acteurs et une vision de la culture plus traditionnelle ?

C’est une bonne question. Je pense que l’appétit pour les rencontres physiques avec des objets, de la beauté et des performances n’est pas prêt de disparaître. Je pense que tout cela reviendra lorsque la pandémie sera finie, ou du moins je l’espère fortement. Une des choses que j’ai remarqué, c’est que la plupart de ce qui est produit en ligne en ce moment ne sont pas des œuvres d’art auxquelles je m’intéresserais s’il n’y avait pas cette pandémie. Je ne passerais pas des heures sur Zoom pour regarder des performances si je pouvais aller au théâtre pour voir des gens en vrai. Et je ne suis pas le seul dans ce cas.
Ce qui me fait vraiment peur, c’est que cette culture du Burning Man, de Google, Facebook, cet art managérial, est voué à se développer. Je pense que nous sommes en train de nous rendre compte du pouvoir de ces entreprises et du piège que représente le capitalisme de surveillance, qui aspire votre vie intime pour la vendre. C’est un piège qui a des conséquences politiques aux États-Unis comme en Europe et je pense qu’il est temps pour les états d’agir. Il faut réguler ces entreprises, et il faut reconnaître qu’il y a en ce sens un mouvement déjà engagé. La vraie question, c’est de savoir si ces efforts finiront par payer. C’est ce qui me parait le plus important.

Aux musulmans, et en particulier aux élèves et parents d’élèves qui désapprouvent les caricatures de Mahomet

Wednesday, October 21st, 2020


Une chronique de Pierre Jourde

Chers concitoyens musulmans,

Ne nous voilons pas la face : il y a un problème. Tant de morts, tant de souffrances pour de simples caricatures. Comment en est-on arrivés là ?

À la fin du Moyen-Âge, tous les pays chrétiens et musulmans vivaient sous le même régime d’intolérance. Un simple soupçon de blasphème ou d’impiété pouvait vous mener à l’échafaud. Les gens des autres religions ne disposaient pas des mêmes droits et étaient à peine tolérés. On peut même dire que les pays musulmans, l’empire ottoman en particulier, étaient un peu plus tolérants envers les juifs et les chrétiens que les pays chrétiens ne l’étaient envers les juifs et les musulmans.

Et puis, en Europe, il s’est passé deux phénomènes, étroitement liés, qui ont fait la société où nous vivons aujourd’hui, la France, et plus généralement les pays occidentaux : la naissance de l’esprit scientifique et la philosophie des lumières. Cela a mis quatre siècles pour aboutir, du XVIe siècle au début du XXe siècle, le travail a été long, douloureux et sanglant. Au bout de ce travail, il y a, entre autres, le droit au blasphème.

L’esprit scientifique a cherché à expliquer rationnellement le monde, par l’observation et la logique, sans s’en tenir aux vérités religieuses. Il a d’abord fallu faire admettre aux autorités chrétiennes que la terre tournait sur elle-même et autour du soleil. Galilée a été obligé par l’Église de renoncer à ses découvertes. Au XIXe siècle encore, les découvertes de Darwin étaient refusées au nom de la Bible. Mais l’esprit scientifique a fini par s’imposer. Grâce à lui, on en sait plus aujourd’hui sur l’univers, l’homme et la nature.
Mais il a aussi permis l’essor technique : si vous avez un téléphone portable, la télévision, une voiture, la lumière électrique, si vous prenez l’avion, le train, si vous pouvez vous faire vacciner, passer une radio, c’est grâce au développement de l’esprit scientifique tel qu’il s’est développé en Europe, et qui a dû lutter des siècles contre la religion et ses soi-disant vérités révélées.

L’esprit des lumières s’est opposé aux persécutions religieuses, au fanatisme religieux, à la superstition. Voltaire a lutté pour faire réhabiliter Calas, condamné à l’atroce supplice de la roue, parce qu’il était protestant et qu’on le soupçonnait d’avoir tué son fils parce qu’il voulait se convertir au catholicisme. Voltaire a lutté pour faire réhabiliter le Chevalier de la Barre. Ce garçon de vingt ans est torturé et décapité pour blasphème. On lui cloue sur le corps un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire et on le brûle.

La Révolution française, puis les lois de la laïcité, qui s’imposent à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, vont dans le même sens : empêcher la religion catholique, qui est pourtant celle de l’immense majorité des Français, d’imposer sa vérité, son pouvoir, de torturer et de tuer pour impiété ou pour blasphème, et faire en sorte que toutes les religions aient les mêmes droits, sans rien imposer dans l’espace public. Car c’est cela, la laïcité.

Mais le catholicisme n’a pas abandonné si facilement la partie, même après avoir perdu le pouvoir, il voulait encore régner sur les esprits, censurer la libre expression, imposer des visions rétrogrades de l’homme et, surtout, de la femme. En 1880, puis encore en 1902, il a fallu expulser de France tous les ordres religieux catholiques qui refusaient de se plier aux lois de la république. Pas quelques imams : des milliers de moines et de religieuses. ça ne s’est pas passé sans résistance et sans violences.

La critique, la satire, la moquerie, le blasphème ont été les moyens utilisés pour libérer la France de l’emprise religieuse. Tant que la religion était religion d’état, ceux qui le faisaient risquaient leur vie. Puis l’Eglise catholique a fini par accepter d’être moquée et caricaturée. Elle a accepté les lois de la démocratie. Les caricatures et les blasphèmes étaient infiniment plus durs et plus violents que les caricatures assez sages de Mahomet, chez les ancêtres de Charlie Hebdo, qui s’appelaient par exemple L’Assiette au beurre, et plus récemment, il y a une cinquantaine d’années, Hara-Kiri, et de nos jours dans Charlie Hebdo, beaucoup plus durs avec le Christ qu’avec Mahomet.
Imaginez qu’un artiste comme Félicien Rops représentait le Christ nu, en croix, en érection, avec un visage de démon ! Et « Hara-Kiri » la sainte vierge heureuse d’avoir avorté ! Personne ne les a assassinés. Au contraire, en 2015, une revue catholique a publié des caricatures du Christ par Charlie Hebdo ! Pour montrer qu’ils étaient capables de les accepter.

Le Christ satanique de Félicien Rops, la couv de « Hara-Kiri » sur l'avortement de la Vierge Marie.

Le Christ satanique de Félicien Rops, la couv de « Hara-Kiri » sur l’avortement de la Vierge Marie.

Si vous êtes libres de pratiquer votre religion en France, si vous avez les mêmes droits que les chrétiens, c’est grâce au blasphème, qui a empêché une religion d’imposer sa loi. Les musulmans sont redevables de leur liberté aux blasphémateurs.

Beaucoup de gens aujourd’hui refusent l’idée de blasphème, pas seulement les musulmans. Il faudrait « respecter » les religions. Mais c’est justement parce qu’on ne les a pas respectées que nous sommes libérés de l’emprise religieuse, et que nous vivons en démocratie, dans un pays où toutes les religions sont acceptées. Charlie Hebdo ne va pas trop loin, Charlie Hebdo fait avec courage son travail de journal satirique, qui s’en prend à tout le monde, sans distinction de religion ou d’origine, parce qu’en démocratie on a le droit de se moquer de tout et de tout le monde.
Sachez que Charlie Hebdo, qui est plutôt classable à l’extrême gauche, s’en est pris au racisme, à l’extrême droite, au christianisme, aux hommes politiques de tous bords. Et à l’islam, donc, à égalité avec les autres. Pourquoi auraient-ils dû faire une exception uniquement pour l’islam ?

En France, on peut critiquer avec virulence tout le monde, les partis politiques, les institutions, les hommes politiques, les artistes, etc. Faut-il faire une exception pour les religions ?

En France, on peut moquer le catholicisme, le judaïsme, le bouddhisme, sans risquer sa vie. Pourquoi ne peut-on moquer l’islam sans risquer sa vie ? L’islam serait-il une exception ?

L’islam peut être critiqué et moqué, comme toutes les autres religions, comme toutes les croyances, comme toutes les opinions, car en démocratie, une religion est une opinion, elle n’est pas sacrée. Si vous n’admettez pas cela, alors vous n’admettez pas la démocratie. Cela signifie que vous souhaitez vivre dans une société sans liberté d’expression, où on ne critiquera plus rien ni personne, dans une société sans blasphème, où la religion dictera aux gens leur manière de vivre, les limites de leur comportement et de leur parole. C’était la France au Moyen-âge. C’est l’Arabie saoudite aujourd’hui.

Quelques couv de « Charlie Hebdo ».

Quelques couv de « Charlie Hebdo ».

L’islam est critiquable justement parce qu’il a encore du mal à accepter la liberté d’expression et la liberté des femmes. Connaissez-vous des massacres et des attentats de même ampleur, partout dans le monde, au nom du christianisme ? L’islam est la seule religion aujourd’hui au nom de laquelle on tue des centaines d’innocents partout dans le monde. Combien de massacres en France, l’Hyper Cacher, Charlie Hebdo, le Bataclan, le carnaval de Nice, les petits enfants juifs tués par Mohammed Merah, le professeur de Conflans, et bien d’autres encore ? Combien d’attentats aux Etats-Unis, en Espagne, en Angleterre, en Belgique, tous aux cris de « Allah est grand » ?
Et les organisations totalitaires islamiques, comme Daech, Al Qaïda, les Tribunaux islamiques somaliens ou les Talibans, qui lapident, décapitent et crucifient au nom d’Allah les chrétiens, les musulmans chiites, les juifs, les zaïdites, les homosexuels, les femmes adultères et les blasphémateurs ? Et dans combien de pays islamiques les autres religions sont-elles persécutées, les femmes considérées comme mineures, des jeunes gens exécutés pour n’avoir pas respecté la religion ?

Ces pays et ces gens ont manqué la révolution scientifique et l’esprit des lumières. Ils ont manqué de blasphème !

Critiquer l’islam n’est pas de l’« islamophobie », maladie imaginaire créée pour empêcher justement toute critique, encore moins du racisme, qui n’a rien à voir. Est-ce que critiquer l’extrême droite est de l’extrême-droitophobie ? Est-ce que critiquer le capitalisme est de la capitalistophobie ? Est-ce que critiquer le catholicisme est de la catholicismophobie ?

Critiquer l’islam, c’est le mettre sur le même plan que toutes les autres religions et opinions. C’est donc le respecter. Ne pas le critiquer, c’est penser qu’il est incompatible avec la démocratie, comme on préserve la sensibilité d’un petit enfant qui ne peut pas endurer la même chose que les adultes.

Les caricatures de Charlie Hebdo, celles des journaux danois, attaquaient l’islam justement sur le sujet de la violence et de l’intolérance. Et c’est bien un problème, ne le pensez-vous pas ? Les réactions violentes ont montré qu’ils avaient raison ! Les assassins de Charlie Hebdo démontrent qu’ils avaient raison, qu’il y a là un problème. Le jour où l’islam acceptera de se confronter à ses problèmes au lieu de tout renvoyer à l’islamophobie, le jour où il acceptera de rire de lui-même, et de prendre la moquerie avec une indulgence souriante, il montrera qu’il est compatible avec la démocratie, capable d’autocritique, comme l’a été le catholicisme. Ce jour-là, une simple petite caricature ne donnera plus lieu à des massacres.

Je souhaite vivement, je ne sais par quel canal, être entendu de vous, surtout ceux que choquent les caricatures. Qu’ils comprennent enfin que c’est la loi démocratique, que c’est au prix de cette insolence qui réveille les esprits qu’on peut réfléchir, se remettre en question et avancer. Et si les religions avaient enfin de l’humour ? Si la Grande Mosquée de Paris organisait une expo Charlie Hebdo ? On peut rêver…

Quand je serai vieille…

Monday, October 5th, 2020

Quand je serai vieille, je ne veux pas qu’on m’appelle « ma ptite dame » ou « ma jolie ». Je veux être respectée et conserver mon identité jusqu’à la fin. Je ne veux pas qu’on me retourne dans tous les sens sans même me prévenir pendant les soins. Je veux qu’on me touche avec douceur et qu’on m’explique ce qu’on me fait. Je ne veux pas qu’on me juge et qu’on dise de moi que je suis difficile ou compliquée. Je veux qu’on me traite avec bienveillance et qu’on accepte que je ne sois pas toujours de bonne composition.

Quand je serai vieille, je ne veux pas dormir dans des draps d’hôpital, je veux mon linge de lit. Je ne veux pas être lavée au gant jetable, je veux mes affaires de toilette. Je ne veux pas qu’on me serve mes repas dans des barquettes en plastique, je veux une jolie vaisselle comme à la maison.

Quand je serai vieille, je ne veux pas d’une couche, je veux une protection. Je ne veux pas d’un bavoir, je veux une grande serviette. Je ne veux pas d’un verre canard, je veux un verre ergonomique.

Quand je serai vieille, je ne veux pas qu’on parle devant moi comme si je n’étais pas là. Je veux pouvoir discuter avec ceux qui s’occuperont de moi. Je ne veux pas qu’on s’empare de mon fauteuil sans me prévenir pour m’embarquer à toute vitesse à l’autre bout du couloir. Je veux qu’on m’annonce qu’on va changer de pièce et qu’on chemine à un rythme qui ne me donne pas le vertige. Je ne veux pas qu’on me dise de faire dans ma protection sous prétexte que je suis trop longue à installer aux toilettes. Je veux que mes besoins élémentaires soient respectés et ma dignité conservée.

Quand je serai vieille, je marcherai moins bien, j’entendrai moins bien, je comprendrai moins bien. Mais je serai toujours capable d’aimer telle ou telle personne, d’avoir envie de tel ou tel menu, d’avoir peur de tel ou tel événement.

Quand je serai vieille, je veux juste qu’on ne m’enlève pas le droit d’être moi.


Babeth
Aide soignante (56)

Du besoin aujourd’hui, plus que jamais, de gens heureux

Sunday, December 29th, 2019

Discours de Pedro Correa (@PedroCorreart) pour la remise des diplômes aux ingénieurs civils 2019 à l’EPL-UCL, Louvain-La-Neuve (Belgique), où [il a] "eu la chance d’avoir carte blanche pour pouvoir aborder pour la première fois je pense des thèmes comme le burn-out, la joie, Philippe Bihouix et les mégaphones."

Bonsoir et félicitations aux ingénieurs fraichement diplômés,

Je voulais aussi féliciter l’AILouvain, d’avoir fait preuve de courage, non seulement en m’invitant dans ce panel (ce qui est déjà assez courageux) mais surtout en mettant au centre de ces interventions et de leur programme de conférences des termes comme "le sens", "le bonheur" "et la joie au travail", au-delà de ceux sur lesquels on insistait uniquement lors des discours que j’avais à votre âge en ingénieur, et qui étaient plutôt à l’époque "le sacrifice", "le sérieux", "la compétitivité" ou "l’excellence". Merci donc vraiment à l’UCL pour cet élan de vent frais.

Je suis d’autant plus ravis d’être ici que je parle au même endroit que l’une de mes idoles du moment (certains ont des idoles qui remplissent des stades, moi c’est un ingénieur français) : il s’appelle Philippe Bihouix et lors de la conférence qu’il a donné ici il y a quelques mois il vous invitait déjà à mettre à profit tout votre savoir-faire non pas dans les High-Techs, mais plutôt dans les Low-Techs : ces technologies qui remplacent ce qui se fait aujourd’hui, mais avec des techniques plus simples et plus sobres. Si ce que vous recherchez c’est du sens et de mettre à profit vos études d’ingénieur pour diminuer notre empreinte écologique à tous, je vous invite vraiment à lire son livre : l’Âge des Low-Tech.
Tout d’abord je vous rassure: je ne suis pas venu vous donner de conseils, et encore moins de leçons. Faire un Doctorat en Sciences Appliquées pour finir artiste photographe, je pense que cela doit figurer dans le top 3 des cauchemars des parents ici présents…

Mais si je ne vais pas vous donner de conseils, c’est surtout parce que je me rends compte que nous, les plus vieux, n’avons rien à vous apprendre, et que bien au contraire, nous ferions mieux de plus vous écouter. Quand je vois les valeurs de consommation, d’égocentrisme, de compétition et de croissance continue, sur lesquelles les deux générations précédentes ont bâti le système dans lequel on surnage pour l’instant, et quand je vois les élans de solidarité, d’empathie, de collaboration, et de quête de sens qui brillent au fond des yeux des jeunes aujourd’hui… je me dis que vous êtes celles et ceux qui peuvent inverser la tendance vers une société plus heureuse et plus juste… et que vous avez déjà tout en vous.

Je vais par contre commencer par une statistique que je vais poser là, exprès pour vous faire un peu peur. C’est une donnée que l’on entend très rarement, et qui représente à mes yeux le canari dans la mine qui devrait nous alerter que quelque chose va mal : depuis 5 ans, la Belgique dépense plus de budget national en malades de longue durée (essentiellement des dépressions et des burn-outs), qu’en charges liées au chômage. Cela veut donc dire que, contrairement à ce que l’on nous martèle chaque jour à propos du chômage, en sortant d’ici, vous avez plus de risque de tomber malade ou de devenir dépressifs à cause de votre emploi, que de ne pas en trouver.

Passionné de développement personnel, je me suis penché sur les causes de cette donnée, et ce résultat n’est finalement pas si étonnant. Toutes les études scientifiques en neurosciences et en psychologie du bonheur sont unanimes : placer des termes anxiogènes comme le "sérieux", l’"excellence", la "compétitivité" ou le "sacrifice" au centre de notre vie, sans en placer d’autres, essentiels, comme "la joie", "le sens" ou "la collaboration", c’est prouvé, cela ne peut que mener à la tristesse, à la fatigue, et au final, à la maladie… au burn-out.

Certains vous feront miroiter des contrats avec d’énormes voitures à la clé, et ils vous assureront que c’est la preuve ultime de la réussite. De mon côté, je ne peux que vous parler avec le gage de mon propre bonheur lorsque je me lève chaque matin pour faire mon travail, que je reste absorbé pendant des heures sans voir le temps passer à capturer des instants de beauté éphémère, et le bonheur de mes enfants avec qui je passe de longues après-midis.

Je ne peux donc que vous partager mon expérience, qui a tout d’abord été de me rendre compte que le bonheur, ça se travaille. Le bonheur ne nous tombe pas du ciel en regardant notre vie s’écouler sur des rails construits par d’autres, des rails qui vont on-ne-sait-où, plutôt que de mettre en pratique nos propres envies.

Mon chemin a commencé par cette condition, indispensable je pense, d’écouter mes propres envies, d’écouter ma voix intérieure. Cette voix intérieure n’a rien de mystique, c’est juste la propre voix de chacun, cette voix authentique qui n’a de compte à rendre à personne, celle qui vous prend aux tripes. Elle est très difficile à entendre parce que depuis tout jeunes, nous avons entassé d’autres voix par-dessus : la voix des parents, des professeurs, des pubs…

Lorsque vous regardez des enfants, vous vous rendez compte qu’ils n’ont encore que cette voix-là, leur juste voix, et c’est justement pour ça qu’ils savent exactement ce qui les rend heureux à chaque instant.

Nous avons tous en nous la voix qui sait ce qui est mieux pour nous. Il faut juste du travail sur soi pour l’entendre et la reconnaitre.

Pour moi, cela a été plus rapide : j’ai pris un raccourci et j’ai pu éviter des années d’écoute attentive pour arriver à l’entendre. C’est un raccourci, certes, mais que je ne souhaite à personne : c’était de voir mourir mon père, soudainement. Il avait 56 ans, j’en avais 29. Il était fort comme un roc un jour, et parti le lendemain. Nous savons tous que nous sommes mortels, mais la nuance est énorme entre savoir que nous sommes mortels et savoir que nous allons mourir, et que ça peut arriver du jour au lendemain.

À ce moment-là, ma voix intérieure a pris un mégaphone et a percé toutes les autres voix, pour me demander chaque jour très clairement : "maintenant que tu sais que tu pourrais mourir demain, aurais-tu changé quelque chose à cette dernière journée que tu viens de passer ?"

Et c’est impossible de vivre comme avant lorsque l’on se pose cette question à la fin de chaque journée. Cette prise de conscience a été douloureuse au début. De là sont nés d’abord de petits changements, des compromis, puis des plus grands, et puis petit à petit, cette voix est devenue un guide sur le chemin vers le bonheur.

Pour être heureux, il m’a fallu aussi trouver du sens. Je pense qu’il faut que notre vie à tous (et donc notre métier, où nous passons 8h par jour) ait du sens à nos yeux. Car notre voix intérieure sait que nous sommes tous sur le même bateau, et le bonheur ne pourra donc être atteint que si nos actions ont un impact réel sur ce bateau.

Et pour finir, il nous faut aussi du courage, parce qu’en plus d’entendre et de reconnaître votre voix, il faudra aussi avoir le courage de l’écouter, car elle ne va pas toujours dire des choses évidentes à mettre en place, ni des choses qui vont plaire à votre entourage.

On m’a souvent dit : "Mais quel courage ! ça ne doit pas être facile de vivre en tant qu’artiste !". Ce à quoi je répondais : "Parce que vous croyez que c’est facile, pour un artiste, de vivre en tant que banquier ?".

Je vais terminer. Et vous l’avez compris, j’ai menti, je vous ai quand-même donné un conseil tout au long de ce discours : celui de ne pas m’écouter. Vous êtes des adultes, vous avez votre diplôme, la vie est à vous. Alors n’écoutez plus ceux issus de ce monde périmé, de ce constat d’échec que nous vivons. Ne m’écoutez plus moi, n’écoutez plus les parents, n’écoutez plus les professeurs, n’écoutez plus les pubs ni les médias, et écoutez-vous, écoutez-vous en tout premier.

Le monde n’a plus besoin de battants, de gens qui réussissent, il a besoin de rêveurs, de personnes capables de reconstruire et de prendre soin… et surtout, surtout, on a tous besoin aujourd’hui, plus que jamais, de gens heureux.

Merci.


Avec ce discours, qui suis les Trois conseils pour réussir, je commence officiellement une collection sur le thème ;-)

J’en profite pour ajouter immédiatement une version "comic" :

Nouveau plan des transports parisiens en période de grèves

Friday, December 13th, 2019

Un modàle avec parapluie ? ;-)

Une Île

Tuesday, December 10th, 2019


Michèle Bernard-Requin, 8 décembre 2019,

Vous voyez d’abord, des sourires et quelques feuilles dorées qui tombent, volent à côté, dans le parc Sainte-Perrine qui jouxte le bâtiment.

La justice, ici, n’a pas eu son mot à dire pour moi.
La loi Leonetti est plus claire en effet que l’on se l’imagine et ma volonté s’exprime aujourd’hui sans ambiguïté.
Je ne souhaite pas le moindre acharnement thérapeutique.

Il ne s’agit pas d’euthanasie bien sûr mais d’acharnement, si le cœur, si les reins, si l’hydratation, si tout cela se bloque, je ne veux pas d’acharnement.
Ici, c’est la paix.
Ça s’appelle une « unité de soins palliatifs », paix, passage… Encore une fois, tous mes visiteurs me parlent immédiatement des sourires croisés ici.

« Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté ».
C’est une île, un îlet, quelques arbres.
C’est : « Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur d’aller, là-bas, vivre ensemble ». C’est « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans » (« Spleen  ») Baudelaire.

Voilà, je touche, en effet, aujourd’hui aux rivages, voilà le sable, voilà la mer.
Autour de nous, à Paris et ailleurs, c’est la tempête : la protestation, les colères, les grèves, les immobilisations, les feux de palettes.

Maintenant, je comprends, enfin, le rapport des soignants avec les patients, je comprends qu’ils n’en puissent plus aller, je comprends, que, du grand professeur de médecine, qui vient d’avoir l’humanité de me téléphoner de Beaujon, jusqu’à l’aide-soignant et l’élève infirmier qui débute, tous, tous, ce sont d’abord des sourires, des mots, pour une sollicitude immense. À tel point que, avec un salaire insuffisant et des horaires épouvantables, certains disent : « je préfère m’arrêter, que de travailler mal » ou « je préfère changer de profession ».

Il faut comprendre que le rapport à l’humain est tout ce qui nous reste, que notre pays, c’était sa richesse, hospitalière, c’était extraordinaire, un regard croisé, à l’heure où tout se déshumanise, à l’heure où la justice et ses juges ne parlent plus aux avocats qu’à travers des procédures dématérialisées, à l’heure où le médecin n’examine parfois son patient qu’à travers des analyses de laboratoire, il reste des soignants, encore une fois et à tous les échelons, exceptionnels.

Le soignant qui échange le regard.

Eh oui, ici, c’est un îlot et je tiens à ce que, non pas, les soins n’aboutissent à une phrase négative comme : « Il faut que ça cesse, abolition des privilèges, il faut que tout le monde tombe dans l’escarcelle commune. » Il ne faut pas bloquer des horaires, il faut conserver ces sourires, ce bras pour étirer le cou du malade et pour éviter la douleur de la métastase qui frotte contre l’épaule.
Conservons cela, je ne sais pas comment le dire, il faut que ce qui est le privilège de quelques-uns, les soins palliatifs, devienne en réalité l’ordinaire de tous.

C’est cela, vers quoi nous devons tendre et non pas le contraire.

Donc, foin des économies, il faut impérativement maintenir ce qui reste de notre système de santé qui est exceptionnel et qui s’enlise dramatiquement.
J’apprends que la structure de Sainte-Perrine, soins palliatifs, a été dans l’obligation il y a quelques semaines de fermer quelques lits faute de personnel adéquat, en nombre suffisant et que d’autres sont dans le même cas et encore une fois que les arrêts de travail du personnel soignant augmentent pour les mêmes raisons, en raison de surcharges.
Maintenez, je vous en conjure, ce qui va bien, au lieu d’essayer de réduire à ce qui est devenu le lot commun et beaucoup moins satisfaisant.

Le pavillon de soins palliatifs de Sainte-Perrine, ici, il s’appelle le pavillon Rossini, cela va en faire sourire certains, ils ne devraient pas : une jeune femme est venue jouer Schubert dans ma chambre, il y a quelques jours, elle est restée quelques minutes, c’était un émerveillement. Vous vous rendez compte, quelques minutes, un violoncelle, un patient, et la fin de la vie, le passage, passé, palier, est plus doux, c’est extraordinaire.

J’ai oublié l’essentiel, c’est l’amour, l’amour des proches, l’amour des autres, l’amour de ceux que l’on croyait beaucoup plus loin de vous, l’amour des soignants, l’amour des visiteurs et des sourires.
Faites que cette humanité persiste ! C’est notre humanité, la plus précieuse. Absolument.

La France et ses tumultes, nous en avons assez.
Nous savons tous parfaitement qu’il faut penser aux plus démunis. Les violences meurtrières de quelques excités contre les policiers ou sur les chantiers ou encore une façade de banque ne devront plus dénaturer l’essentiel du mouvement : l’amour.


Michèle Bernard-Requin est une des grandes figures du monde judiciaire. Elle fut tour à tour avocate puis procureure à Rouen, Nanterre et Paris. En 1999, elle est nommée vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, elle présida la 10e chambre correctionnelle de Paris puis la cour d’assises, et enfin elle fut avocate générale à Fort-de-France de 2007 à 2009, date à laquelle elle prit sa retraite.

Microsoft compatibility telemetry

Sunday, November 17th, 2019

Windows 10 a probablement des qualités, mais il a surtout le chic pour vous rappeler régulièrement que vous n’êtes pas le patron. Ma machine était devenue presque inutilisable, avec un cycle de démarrage aléatoirement très (très) long, obligeant parfois (ce qui est particulièrement anxiogène) à interrompre le démarrage en éteignant le PC.

À l’analyse, le problème provenait du programme Microsoft compatibility telemetry, qui pouvait utiliser jusqu’à 80% du processeur. Le désactiver (ainsi que Asus Gift box, dont je n’ai jamais compris l’intérêt, hormis utiliser de la puissance machine au démarrage) m’a permis de régler le problème. La marche à suivre est la suivante :

  1. lancer taskschd.msc
  2. Ouvrir Bibliothèque / Microsoft / Windows / Expérience d’application (ou Application Experience)
  3. Faire un clic droit sur Microsoft Compatibility Appraiser et choisir Désactiver

De l’autre côté

Thursday, October 24th, 2019

Texte de Sophie Fontanel (@SophieFontanel)

Prends soin d’être toujours, et je veux dire « aussi », de l’autre côté. N’écoute pas ceux qui t’exhorteront à choisir ton camp, lequel est toujours d’un côté, comme tu sais. Cultive en toi ce fottement qui est la liberté, et qui est la douceur, et bouche tes oreilles quand on insinue que la douceur est une faiblesse. Continue d’être un esprit bancal, c’est plus noble que « bancable ». Lis les livres de gens qui ne pensent pas comme toi, lis le Journal inutile de Paul Morand et vois ses limites, entre dans les raisonnements qui te dérangent, même si tu es si fier, et parfois si bien avisé d’être du bon côté.

Si mon exemple peut servir à quelque chose (faut voir !), sache que je vis des deux côtés. Dans mon cas, il s’agit de littérature. Je déconcerte, parce que j’écris des romans, tout en affichant un goût immodéré pour la futilité de la mode. J’ai fait mon métier des deux disciplines, mais sans prendre une seconde au sérieux les milieux qui leur correspondent. Romancière, je regarde la mode comme si elle était faite de mots. Critique de mode, je regarde l’univers littéraire à travers son style, et pas seulement (loin de là !), vestimentaire. Le chemin que j’ai pris rend tout plus difficile, je ne peux pas me réchauffer dans le giron d’un monde, et c’est la croix et la bannière pour être reconnue par des pairs. Mais, à la fin, à force d’être différent on finit par inventer quelque chose. Toute ma vie j’ai vécu de l’autre côté, et j’ai appris cette chose toute bête qui aurait dû me sauter aux yeux : de l’autre côté, on a la vue. Cela donne des artistes. Merci la vie.


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