Le voyageur, par définition, se déplace dans l’univers. Du moins c’est la vision copernicienne à laquelle on croit, au début. Mais quand on voyage, on découvre que c’est tout le contraire, et que l’on est bien au centre de l’univers, comme dans une cosmogonie antique.
Le voyageur reste sur place, avec ses mélodies intérieures, son ordinateur itinérant, son téléphone porteur de données chéries, ses amis dans sa tête et son piano dans son ventre, comme dans une chanson de Tachan. Le voyageur reste au centre du monde, mais c’est le monde tout entier qui se déplace et tourne autour de lui, comme dans un dessin animé de Miyazaki.
Voyager, ce n’est pas se précipiter vers un objectif ou un refuge ; c’est s’arrêter et se rendre perméable à l’environnement changeant comme un ciel orageux, c’est retirer son parapluie et laisser pleuvoir en soi, comme dans une maison sans toit.
Et par la même occasion créer une belle aventure, pleine de changements de points de vue comme une théorie relativiste, pleine de hasards productifs comme une mécanique quantique.
Lire un livre, écouter un concerto ou décrypter une preuve mathématique, c’est faire un voyage ; mais faire un voyage, c’est écrire un livre, avec ses actes et ses paroles.
On choisit (ou pas, d’ailleurs) une destination, une période, et voilà le sujet esquissé et les principales parties mises en place ; puis ce sont les chapitres qui se rédigent, les rebondissements, les anecdotes, les détails qui rendront le tout plus vrai que nature. Au cours du voyage on dialogue avec l’environnement, on modifie le scénario, on improvise, on fait disparaître un protagoniste dont on s’est lassé, comme dans un roman de Conan Doyle.
Le voyage qui s’impose à vous par la volonté des éléments et du hasard, c’est le roman qui s’impose à l’écrivain, c’est le cri qui s’impose au poète, comme dans une page d’Aragon.
On ressort du voyage apaisé, plus léger de quelques cris, et plus riche de quelques étoiles rencontrées au passage, comme dans une bande dessinée de Baudoin.
Cédric Villani, médaille Fields 2010.