Perseverare diabolicum
Sunday, July 19th, 20093,4 milliards de dollars, c’est le bénéfice de Goldman Sachs au second trimestre de cette année. Le meilleur résultat trimestriel jamais atteint par cette banque, comme l’annonce le magazine Time, en posant une question très simple : « Is this something to be happy about or not?»
Doit-on être heureux pour cette banque que, la plupart de ses concurrent ayant été gravement affectés par la crise, elle ait déjà été en état de rembourser, avec les intérêts, les 10 milliards de dollars que le gouvernement des USA lui avait prêté en Octobre ?
Doit-on s’inquiéter du fait que ces profits records représentent une forme d’annonce triomphale que le grand jeux est reparti de plus belle ?
Puisque l’actualité française est toute occupée par le Tour de France, osons une comparaison cycliste : serait-on heureux de voir un coureur dépasser tous ses records alors qu’il sort tout juste d’une hospitalisation pour un état de fatigue généralisé dû au dopage ?
Cet « exploit » bancaire résonne comme un funeste écho à la chronique de Georges Ugeux (président de Galileo Advisor et ancien directeur du New-York Stock Exchange) titrée « Finance : vers la rechute» dans le numéro estival du magazine Les Echos.
« Pourquoi ne pas examiner la finance d’un point de vue médical ?» s’y interroge Georges Ugeux, et il décrit comment le système bancaire a subi un infarctus dû à un comportement irresponsable. Comment les banques ne pourront plus gonfler artificiellement leurs fonds propres (leur « cœur» ) pour supporter des charges de levier déraisonnables et pourquoi, également, elles vont rationner ou renchérir le crédit aux entreprises et aux particuliers. Il conclut : « Dans ce contexte, les gestionnaires de la finance ont déjà entrepris de tirer profit de la convalescence. Entre les 36 milliards de dollars mis de côté au premier trimestre par les six plus importantes banques américaines pour verser des bonus en 2009, et la nouvelle tendance qui consiste à augmenter le salaire des gestionnaires pour prévenir l’incertitude qui pèse sur les rémunérations variables, ces gestionnaires organisent avec un cynisme incroyable leurs prochains festins. Mais ils se préparent aussi à de nouveaux excès et… à un autre infarctus.»
Un de mes amis banquier m’expliquait récemment comment les salariés qu’il avait recrutés et formés ces dernières années était en ce moment débauchés avec des « golden hellos» très significatifs par des banques qui, après avoir bénéficié du soutien de l’état, ont acquis deux convictions : le jeux est relancé et il est devenu sans risque puisque l’état renflouera ceux qui perdent.
S’il y a des gens qui prolongent également un système d’erreur, mais ne risquent pas l’infarctus, c’est bien le fameux GIP DMP. Cette institution, qui a été créée pour fournir un Dossier Médical Personnel à tous les Français en 2007, vient tout juste de produire un Cadre d’Interopérabilité des Systèmes d’Information de Santé… à l’américaine, avec des majuscules partout !
Le principe, à l’américaine, est d’utiliser HL7, sous forme de CDA et de quelques profils IHE, pour normaliser les échanges entre professionnels de santé ou le dialogue avec des plateformes de stockage de documents médicaux.
Dans un précédent blog, je prévoyais la façon dont les « puzzle makers, faute de pouvoir inventer les systèmes de « sortie de la boîte» , allaient imposer leur manque de vision. Le mécanisme est simple : assurer des parts de marché grâce à un système complexe et dont le dispendieux investissement de mise en œuvre est compensé par une labellisation qui met ceux qui acceptent de jouer le jeu à l’abri de leurs concurrents, et surtout de ceux qui pourraient tenter d’innover.
Il n’y a, à l’évidence, aucun rapport entre ce Cadre d’Interopérabilité, limité aux échanges documentaires entre professionnels, et le DMP, dont la promesse était de fournir aux citoyens un support de continuité des soins. Ou alors le rapport est tellement distant qu’il ne sera probablement jamais établi de façon opérationnelle.
Ce que le GIP DMP, ou plutôt l’ASIP, l’agence qui en prend le relais, semble persister à ignorer, c’est que le succès de toutes les initiatives récentes de grande envergure vient de la mise en œuvre d’un service simple et utile, étendu ensuite sous forme de plateforme au moment où il devient possible/stratégique de permettre à des tierces parties de distribuer des services complémentaires.
S’il était vraiment utile d’échanger des documents médicaux, des initiatives pragmatiques et intelligentes comme la plateforme Enosis auraient eu un succès mérité.
Il traîne encore sur la toile quelques informations sur Enosis. Sur le site Hermes de mutualisation des réseaux en santé, on trouve au chapitre « Archives des informations 2005» pour la région PACA :
Projet ENOSIS: Echange NOrmalisés Structurés d’Information de Santé
Aujourd’hui, les professionnels de santé sont de plus en plus souvent amenés à travailler en réseau, rassemblant leur compétence autour du patient. C’est ainsi que de nouveaux besoins émergent, besoin de communication, d’échange et de partage de données, avec les contraintes et les nécessités qui vont de paire en matière de sécurité. Cependant cette nécessaire communication ne doit pas se faire au prix d’une uniformisation des outils et des pratiques. Avant même d’invoquer l’évidente perte de richesse intellectuelle que cela impliquerait, la seule diversité des pathologies et des prises en charge rend cette perspective impensable. Il est donc nécessaire d’élaborer des outils permettant des échanges sécurisés de données, pouvant être mis en oeuvre dans des contextes variés en terme de mode de fonctionnement, de type d’équipement, de niveau d’équipement. L’élaboration de ces outils doit s’appuyer sur l’utilisation des standards dont certains ne sont pas encore établis dans le monde de la santé.
Le projet ENOSIS vise à favoriser l’établissement de normes d’échange des informations de santé dans les réseaux de soins et, plus généralement, dans le domaine de la santé.
Pour en savoir plus : le site du Projet ENOSIS
Cliquer sur le lien « le site du Projet ENOSIS» vous amènera à une page qui résume bien la situation de ce projet.
Et pourtant, Enosis avait, en 2003, bien plus de pertinence que n’en a le « Cadre d’Interopérabilité» en 2009 ; et, de surcroît, il avait le mérite d’être basé sur EHRCom, une norme Européenne.
Non qu’il soit déraisonnable d’utiliser IHE… la remarquable initiative de Karima Bourquard au GMSIH d’organiser des « Connectathons» IHE était bien basée sur un besoin interne des hôpitaux : valider les fournisseurs compatibles pour mettre en musique un processus métier. Mais c’est précisément de la totale absence de vision de ce que pourraient être les processus métiers en continuité des soins que procède le Cadre d’Interopérabilité.
Pour explorer depuis de nombreuses années le domaine de la continuité des soins, je sais que l’enjeu majeur est de dégager l’information contenue dans les silos de données, puis de la transformer en une connaissance qui outille l’action d’une équipe. D’une série de résultats d’INR, on tirera l’information que la dernière valeur est anormale, et de l’historique des valeurs la connaissance de la façon dont il faut adapter le traitement anticoagulant et la date de la prochaine mesure d’INR. L’échange documentaire a très peu de place dans ce processus : si une équipe a conscience de travailler en commun, chacun de ses membres doit collaborer à la production de connaissances, et les comptes rendus ont surtout un rôle d’archives légales.
Ainsi, en imposant une approche ciblée sur la gestion documentaire, qui plus est avec des normes suffisamment complexes pour protéger les champions en place qui joueront le jeu, l’ASIP éloigne pour longtemps l’éclosion des systèmes de continuité des soins qui ont justifié sa malheureuse création. Par ailleurs, en choisissant des normes américaines, elle favorise le choix, pour ceux qui ont vraiment besoin d’un DMP, des systèmes proposés par Google ou Microsoft.
D’une certaine façon, et en employant une méthode que n’aurait pas reniée Jacques Rouxel, l’Agence Shadokienne d’Impérialisme Pipotronique organise sa propre inutilité.