Syndrome de Dunning-Kruger
Saturday, June 26th, 2010Dans plusieurs articles, j’ai tenté de définir le type de mal dont sont atteints nos ministres. Il m’a toujours semblé qu’il faut un talent particulier pour prendre systématiquement les mauvaises décisions alors que le hasard devrait, en moyenne, limiter le taux d’erreur à une fois sur deux.
En septembre 2008, je pensais que, comme les Aymaras, ils tournaient le dos à l’axe naturel du temps, orientés vers un passé connu et tournant le dos à un avenir qui n’est, par essence, pas lisible. En août 2009, préoccupé par les visions d’après-crise je constatais grâce à Bernard Stiegler et Isaac Johsua que, aveuglés par la pensée unique, ils tenteront toujours de sauver ce qui ne peut plus l’être au détriment de ce qui devrait naître.
Mes recherches récentes m’ont enfin permis de qualifier très précisément le mal et de lui donner un nom : syndrome de Dunning-Kruger.
Comme l’explique un article du New-York Times, le syndrome de Dunning-Kruger a été décrit par ses auteurs à partir du « cas clinique » d’un pauvre homme qui avait attaqué deux banques la même journée à visage découvert car il était persuadé que le jus de citron dont il s’était enduit la peau le rendait invisible des caméras de surveillance. Même après son arrestation, l’individu restait incrédule sur l’échec de sa stratégie qu’il avait, pensait-il, testé avec succès au moyen d’un Polaroid.
Le titre de l’article écrit par David Dunning, un professeur de psychologie sociale à Cornell et Justin Kruger, un de ses étudiants, est particulièrement explicite : "Unskilled and Unaware of It: How Difficulties of Recognizing One’s Own Incompetence Lead to Inflated Self-assessments" (Journal of Personality and Social Psychology, 1999, vol. 77, no. 6, pp. 1121-1134). On pourrait le traduire par : « Pas doué et inconscient de l’être : comment la difficulté à reconnaitre sa propre incompétence mène à un gonflement de l’auto-satisfaction »
Comme l’expliquent les auteurs, « quand les gens sont incompétents dans les stratégies qu’ils adoptent pour réussir et obtenir satisfaction, ils sont victimes d’une double malédiction : non seulement ils induisent des conclusions erronées et font des choix malheureux, mais, en plus, leur incompétence leur ôte toute capacité à s’en rendre compte. Tout au contraire, ils restent sur l’impression fausse d’avoir fait exactement ce qu’il fallait. »
Quiconque a entendu Roselyne Bachelot s’exprimer sur sa pitoyable gestion de la grippe A, ou a suivi les errances de Xavier Bertrand dans la mise en Å“uvre du Dossier Médical Personnel, reconnaitra jusqu’à la caricature le syndrome de Dunning-Kruger : alors qu’il est désormais de notoriété publique que l’échec de leur démarche était garanti dès l’origine, les deux personnages ne le comprennent toujours pas et défendent bec et ongle la pertinence de leurs choix.
Le syndrome de Dunning-Kruger étant une anosognosie, une pathologie ignorée de celui qui en est atteint, les médecins consultés doutent qu’il puisse exister un traitement médical.
Avoir pu poser un diagnostic nous permet au moins de prendre les précautions qui s’imposent quant à la confiance qu’il convient de leur accorder. Il est également possible de mieux comprendre par quel mécanisme les technocrates et les industriels, qui accumulent pourtant échec après échec, peuvent opposer aux tenants de solutions alternatives un « principe de réalité » qui leur permet, sans changer de stratégie, de financer la prochaine itération.