Exemplaire DMP

Le quotidien La Tribune vient de publier une série d’article sous la bannière Le meilleur de la stratégie et du management. Ce dossier est issu de la collaboration entre les chercheurs du CRG, pôle de recherche en économie et gestion de l’École polytechnique et du CNRS, et les consultants de la société Bearing Point.

Dans son texte intitulé “Le pilotage des projets publics confiés à l’industrie”, Robert Picard, du CRG, écrit :

«Dans les projets qui font une part significative à des technologies nouvelles, non complètement maîtrisées, ou qui visent des services nouveaux dont l’acceptation par les utilisateurs ne peut être connue à l’avance, les sciences de gestion nous enseignent que la ” coproduction ” de la solution par le mandataire et le mandant constitue la meilleure façon de garder l’opération sous contrôle. Des allers retours constants sont nécessaires entre la vision initiale et l’expérience apportées par des essais pratiques, partiels et progressifs.

Les praticiens du PPP (partenariat public privé) soulignent que ce type de contrat exige un professionnalisme accru en gestion de projet, montage financier, évaluation du risque. Le dialogue compétitif, souvent trop long, vise à réduire la dissymétrie informationnelle entre mandataire et mandant. Mais c’est l’expérience qui engage la coproduction de la solution future. Or le financement de telles expérimentations, en particulier lorsqu’elles mobilisent plusieurs acteurs en parallèle, reste problématique, comme l’a montré le cas du dossier médical personnel informatisé (DMP)»

Le DMP est donc cité par les chercheurs du pôle de recherche en économie et gestion de l’École polytechnique comme exemple d’expérimentation problématique.
Pourtant, au même moment, à un journaliste qui lui demandait « Comment expliquez vous les difficultés à mettre en oeuvre le DMP qui ne sera pas opérationnel au 1er Juillet 2007, comme le prévoyait la loi ? », le Ministre de la santé répondait :

«Les premières étapes ont été accomplies. Sur le projet le plus important des trente dernières années en matière d’informatisation du système de santé, je préfère que l’on se donne quelques mois de plus pour avoir toutes les garanties techniques, juridiques et pour que la confiance soit au rendez-vous. La Cnil a demandé davantage de détails que prévu mais je préfère répondre à toutes ses questions. Il y a eu des remarques des médecins et des associations de patients. Je préfère les intégrer pour que le DMP voie le jour demain et puisse assurer ses premiers pas. Là où il est appliqué, le DMP est un succès. Nous allons donc prolonger les expérimentations. Les budgets nécessaires vont être attribués.»

Symbole d’échec ici, affirmation de réussite tranquille là… qu’est ce qui explique un tel écart d’appréciation ?
Il serait tentant de répondre qu’un Ministre qui est sur le point de renoncer à son maroquin pour se consacrer entièrement à la fonction de porte parole du candidat le mieux placé dans la course présidentielle a tout intérêt à repousser l’heure du bilan à un futur indéterminé tout en fredonnant l’air du « tout va très bien, Madame la Marquise ». Il serait donc de bonne guerre d’attribuer l’épaisse fumée à un mauvais réglage temporaire de la cheminée du château.

Malheureusement, je pense que l’hypothèse la plus probable est bien pire : le Ministre est de bonne foi ; il ne mesure simplement pas l’écart considérable entre ce qui est mis en œuvre par ses services et ce qu’il serait nécessaire de réaliser pour influer positivement sur la santé des Français… et sur la compétitivité des entreprises.

Cette différence s’exprime assez simplement : les plans du Ministre concernent un système fermé (un système d’information hospitalier à l’échelle du pays) alors que la seule solution viable réside dans la mise en place d’un espace de services ouvert. Fermé c’est simple au point de s’inscrire presque entièrement dans quelques décrets ; ouvert c’est complexe car il faut satisfaire une demande fantastiquement hétérogène.

Mais justement, cette variété de la demande, que devrait satisfaire un système ouvert, ne condamne-t-elle pas un système fermé à ne jamais sortir du cadre expérimental ? C’est probablement l’une des questions qui préoccupera la Service Research and Innovation Initiative, une entité créée aux Etats-Unis par de grandes enterprises et des universitiés de renom pour étudier formellement la “science des services”.

C’est une preuve supplémentaire que les espaces de service vont faire l’objet d’investissements considérables outre-atlantique et que le DMP n’est pas seulement un échec du partenariat public privé, comme le souligne le CRG, mais bien une historique occasion manquée dans la mise en place d’un environnement réellement moderne.

Mais peut-être faut il se résigner à laisser ce rôle à d’autres ; comme l’a récemment écrit mon ami Denny sur son blog :

«In a land where there are 400 different words for cheese but none for customer satisfaction it is not surprising that French customer service has the reputation of being the worst in this quadrant of the galaxy.»

Si nous ne voulons pas nous résigner au secteur des fromages, il va falloir voter pour un candidat qui porte haut les concepts d’innovation et de soutien aux entrepreneurs. Malheureusement celui qui brandit ce drapeau plus haut que les autres a précisément pour porte parole l’homme qui a fait du DMP cet exemple de la vanité technocratique.

Ce sera donc les fromages !

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