Une bien singulière absence de pluriel
Le Dossier Personnel de Santé est un concept très à la mode. Aucun gouvernement de pays développé n’a résisté à l’annonce de sa mise en œuvre dans les prochaines années.
Ce faisant, souhaite-t-on extirper les informations de santé des alcôves où elles sont dispersées afin de rendre plus « libre et responsable » la personne qu’elles décrivent, ou bien veut-on mettre à disposition de l’état l’outil d’un nouveau contrôle ?
En France, l’unicité est de mise, et il convient de parler au singulier du Dossier Médical Personnel mis en œuvre par l’Etat : LE DMP. Le singulier est obligatoire ; l’exemplaire sera unique et l’état entend le contrôler par force de loi et fixer ses règles au travers d’appels d’offres.
Dans “La responsabilité : essai sur le fondement du civisme” (Paris, Hatier, 1994), Jean-Marie Domenach éclaire assez bien ce qui est ici à l’œuvre : « La fin des totalitarismes n’a pas aboli la prétention de l’Etat au monopole de la responsabilité politique. L’Etat providence, l’Etat du bien-être, a ses moyens propres, certes plus doux mais non moins efficaces, de déresponsabiliser les citoyens en les gavant de protections et de distractions qui assurent un ordre où les rebelles sont vite isolés et marginalisés. »
Outil de la puissance d’Etat, le DMP sera donc conçu dans une démarche paternaliste de protection du citoyen et non pour lui donner du pouvoir, lui permettre d’affirmer sa particularité. De par la loi, nous ne serons donc propriétaire de notre DMP qu’en tant qu’usager d’un service public.
Pourtant, et contrairement aux idées reçues, diversité et compétition sont de bonnes choses en médecine comme ailleurs. Richard Smith démontre bien, dans un éditorial du Gardian (Everyone could be a winner), que si la course effrénée au meilleur prix peut se révéler catastrophique, la recherche d’une qualité de service toujours meilleure est, par contre, favorable à l’ensemble du système.
Le DMP n’est aujourd’hui qu’un jouet politique, pourtant les dégâts causés par la démarche étatiste sont déjà significatifs. Offrir des services adaptés à chacun, particulièrement dans un domaine aussi complexe que celui de la santé, demande en effet une inventivité considérable ; confier ce travail à des fonctionnaires, au surplus lorsque ceux-ci sont empêtrés dans des contraintes législatives rigides et ont pour consigne première de tenir un calendrier purement électoraliste, constitue une forme d’exception française.
Il aurait sans aucun doute été possible de susciter l’innovation en guidant souplement le développement d’une offre de services diversifiée, à l’image de l’immense variété de la demande et de l’offre en santé. Mais le pouvoir s’exerce tellement plus aisément par ces appels d’offre massifs, dits de « de généralisation », où le politique est valorisé à la fois par les sommes annoncées et par le dialogue avec les grands groupes industriels. C’est un exercice convenu entre acteurs qui se connaissent bien et où, comme l’écrivait Domenach, les rebelles sont marginalisés ; ces mêmes rebelles qui, ailleurs, écrivent l’histoire de la net-économie, et dont viendront inéluctablement les solutions d’avenir qu’il nous faudra importer.