Archive for the ‘Français’ Category

Un texte un jour

Monday, January 6th, 2014

Si c’est moderne, c’est sur le web, c’est en réseau, et c’est social. Sinon, c’est mort pour des Petites Poucettes à qui le rythme de Facebook, Twitter et des SMS interdit définitivement d’aller mourir d’ennui aux marges du désert des Tartares.

Et pourtant, il y a du graphe dans la littérature, du lien, du mouvement, de l’intrigue ; il suffisait de trouver le moyen de connecter ces rythmes au tempo de la toile, ce qu’a magistralement réussi Sarah avec son application un texte un jour qui a aujourd’hui les honneurs mérités du magazine Libération

2014 :-)

Thursday, January 2nd, 2014

Faire société

Friday, December 27th, 2013

La façon dont nous faisons démocratie me semble avoir de moins en moins de sens à mesure que la société évolue vers une forme complexe. Le symptôme le plus manifeste est celui de la parole politique qui se révèle toujours plus puérile et manichéenne dans ses affrontements claniques et, disons-le, stupide dans ses grands élans lyriques.

Tel ministre qui affirmait que nous étions en Afghanistan pour empêcher que les petites filles qui souhaitent mettre du vernis à ongle se fassent couper les doigts nous prenait-il pour des idiots ? Était-il lui-même un peu bête, n’ayant même pas vérifié que cette histoire était déjà référencée comme un hoax ? Faisait-il l’idiot sur le sujet afin d’occuper le terrain médiatique avec des histoires pour enfants afin d’éluder les questions de fond ? Savait-il que nous savions qu’il savait que nous savions ?

J’ai pris cette exemple déjà ancien parmi mille parce qu’il met superbement le problème en abyme. Nous n’avions rien à faire là-bas précisément parce que nous avons le plus grand mal à faire sens en tant que société – ce qui rendait bien illusoire notre capacité à faire école au loin.

Combien d’entre nous sont déjà persuadés que le politique est désormais dans le domaine du problème et plus dans celui de la solution ? Pour le dire plus simplement, qu’il s’agit désormais de trouver un sens à faire société malgré eux et plus grâce à eux ?
C’est une question qui n’a pas de réponse simple… surtout s’il s’agissait de proposer immédiatement des alternatives compréhensibles par la majorité – dans un environnement complexe, il faut se garder de la loi de Grossman qui stipule que les problèmes y ont des solutions simples, faciles à comprendre, mais fausses !

En tout cas, les tribunes sur le sujet fleurissent actuellement, ce qui est a minima, pour moi, signe que cette évidence qu’il est nécessaire, et urgent, de trouver une nouvelle voie n’est pas une lubie isolée. En voici une courte récension limitée à ce qui est passé dans mon flux Twitter ces 30 derniers jours (par ordre chronologique – d’apparition dans mon flux, et sans esprit critique) :

Article de fond en préparation… merci de me signaler les articles qui m’ont échappés afin que je les ajoute à la page dédiée à la société maillée, que je viens d’ouvrir.

Petits bateaux, grands marins

Monday, December 2nd, 2013

Benoît Marie remporte la Mini-Transat sur son proto Finot 2007, 2h55 avant Giancarlo Pedote qui, avec l’ex-Magnum de David Raison a dominé les 9/10èmes de ce sprint de 3 700 milles entre Sada et pointe-à-Pitre.


Belle photo de Jacques Vapillon.

Organiser sa veille métier avec Twitter

Wednesday, November 27th, 2013

Un flux Twitter de qualité est probablement, aujourd’hui, la meilleure source d’information sur les sujets qui comptent pour vous.
Chaque flux Twitter est unique et vous construirez le vôtre au fil de vos rencontres. Elles seront souvent fortuites (c’est la fameuse « sérendipité »), ce qui n’exclut pas une certaine organisation dans la gestion des fils Twitters auxquels vous vous abonnerez.

Ces quelques règles de base devraient vous permettre de bien démarrer.

Suivez d’abord des référents dans votre spécialité

Utilisez le moteur de recherche pour vérifier si vos connaissances ont un compte Twitter.
Recherchez les sociétés savantes du domaine et regardez qui elles suivent.

Construisez votre réseau par « sérendipité organisée »

Suivez les personnes que ces référents mentionnent ou dont ils retwittent les messages et faites croître votre réseau par itération de cette règle.

Suivre quelqu’un entraine un « coût d’attention », pesez vos décisions de suivi

La magie de Twitter opère (émerge) quand on suit au moins 50 personnes… mais il faut à tout prix favoriser la qualité à la quantité.
Lorsque vous voyez passer un message intéressant, jetez un coup d’œil aux 10 ou 20 derniers messages de son auteur avant prendre la décision de le suivre.
Ne tenez alors pas compte des « messages personnels » qui commencent par @ ; vous ne les verriez passer dans votre flux que si vous suiviez à la fois l’auteur et le destinataire.

N’hésitez pas à cesser de suivre quelqu’un dont les Tweets ne correspondent pas/plus à votre attente

Suivre quelqu’un n’est pas définitif. Ne soyez pas sélectif uniquement lors de vos décisions de suivi ; si vous réalisez qu’une des personnes que vous suivez émet des messages sans intérêt pour vous, cessez de les suivre.

Utilisez Twitter pour partager ce que vous apprenez

Vous pouvez utiliser Twitter comme un média classique, sans écrire vous-même de message. Mais vous pouvez également participer, tout d’abord en re-twittant les messages qui vous intéressent (ce qui permet, par ailleurs, de les mettre de côté), puis en publiant ce que vous apprenez – les éventuelles réponses ne peuvent être qu’enrichissantes… ne serait-ce que pour découvrir des gens qui ont les mêmes points d’intérêt.

Utilisez Twitter pour des échanges courts, mais utilisez le mail pour les véritables conversations

La fonction « répondre » permet d’engager un échange, mais la contrainte des 140 caractères limite l’expressivité à un remerciement, une question d’éclaircissement ou à la proposition d’un lien vers un article complémentaire.
Pour les conversations étoffées, utilisez d’autres outils, comme le mail, les forums de discussion…
La fonction d’envoi de message direct (privé) permet, par exemple, de demander son mail à un correspondant.

Ces conseils sont directement inspirés de l’article « How Software Developers Use Twitter » par Leif Singer.

Célébrons les défricheurs

Saturday, November 23rd, 2013


Au moment où notre monde est appelé à conduire une véritable métamorphose, qu’il doit conduire une vaste transition dont dépend, pour dire les choses crûment, notre survie ; au moment où les systèmes conceptuels et institutionnels hérités du passé se révèlent inadaptés à gérer les nouvelles inter-dépendances ; où l’empire des systèmes techniques sur les sociétés exige de nouveaux modes de régulation ; où chacun clame la nécessité d’un nouveau modèle de développement sans en tracer les lignes directrices [...] nous avons besoin de praticiens désireux, à un moment de leur vie, d’interroger leur pratique et d’oser explorer des voies nouvelles [...] Armez vous de courage et d’audace. Vous ferez peut-être grincer les dents des collègues dans un premier temps, mais n’est-ce pas le sort usuellement réservé aux défricheurs ?

Pierre Calame et Edgar Morin, Le Monde du 21/11/2013

Calendrier MEDemoiselles

Wednesday, November 6th, 2013

Une bien belle initiative que ce Calendrier MEDemoiselles, produit par les étudiantes en médecine de 2e année de l’Université de Sherbrooke.

Devant l’émoi suscité au sein de la Belle Province, ces demoiselles ont tenu à préciser que :


Ce calendrier séduisant est une tradition de longue date au sein des étudiants en médecine. Il est réalisé dans le but de financer les activités de la promotion, notamment le bal des finissants. Cette année, les étudiantes ont décidé de verser 25% de leurs profits à l’Association de la sclérose en plaques de l’Estrie (ASPE). Pour la première fois, le Calendrier MEDemoiselles sera non seulement disponible en vente intra-facultaire, mais aussi via internet avec option de livraison pour tous ceux qui souhaiteront supporter ce projet.


Nous tenons à mentionner que toutes les filles participant au projet se sont engagées de façon volontaire et que toutes celles désirant y participer ont eu une place au sein du Calendrier MEDemoiselles. Aucune "sélection" n’a été faite : Pour nous, la vraie beauté réside dans la diversité et dans l’authenticité de chacune, une valeur qui représente fortement l’esprit du projet. De plus, ce calendrier vise en partie à amasser des fonds pour une noble cause (ASPE). Les photos sont donc artistiques, recherchées et élégantes, sans connotation vulgaire.

Jean-Pierre Dick et Roland Jourdain chavirent

Thursday, October 10th, 2013

Ces bateaux sont magnifiques, mais il suffit d’une risée traitresse pour faire chavirer deux marins particulièrement expérimentés.

Franck Cammas Champion du Monde de Class C

Saturday, September 28th, 2013

Il y a un peu plus d’un an, Franck Cammas remportait la Volvo Race. Puis il est devenu champion de France de Match Racing et a remporté cet été le Tour de France à la Voile.

Aujourd’hui, équipé par Louis Viat, il vient d’accrocher à son palmarès le championnat du monde de Class C, également surnommée « Petite coupe de l’America ».

À quand la grande ?



@cclasscats :
Congratulations to the first-ever French #LittleCup Champions, Franck Cammas and Louis Viat and @GroupamaCammas Team!

Fermez le ban !

Sunday, May 26th, 2013

SPDA

Saturday, May 25th, 2013

Retranscription d’une petite chronique en 4 tweets par Perruche automnale (@PUautomne), néphrologue blogueur :

Dans la série l’humanité est belle. Vieille, démente, dialysée, après sa séance les ambulanciers la ramènent et trouvent porte close.

Sur la porte, un mot : «nous sommes partis en voyage, merci de prendre soin de notre mère». Les ambulanciers nous rappellent

Retour dans le centre et hospitalisation, que faire d’autre un samedi à 14h, on fait SPDA aujourd’hui

SPDA: société protectrice des dialysés abandonnés, je précise le sens de cet acronyme du jour.

Un combat invisible… et subtilement sémantique

Thursday, April 25th, 2013

C’est un beau texte du Journal des étudiants en médecine, mais la fin ne me plait pas ; elle utilise un vocabulaire daté et inapproprié. Je l’ai signalé à l’auteur, mais il m’a répondu qu’il n’était pas sûr que les lecteurs comprennent s’il adaptait son discours. J’ai décidé de faire le test… avec ci-dessous un texte modifié.

Alors voila 12 heures de garde avec M., nouvelle externe, inconnue au bataillon, deux ans plus jeune que moi. En 12 heures, j’observe sa manière de faire, assez épaté par sa douceur, son savoir-faire.
Elle examine les gens, pose ses mains avec dextérité, sait quoi regarder, où chercher, toujours avec d’infinies précautions.

Elle traite les patients tel un collectionneur ses porcelaines.
On échange deux/trois mots. M. a un petit accent charmant… Je réfléchis : "Italienne ? Roumaine ? Espagnole ?".
Le programme Erasmus a du bon : depuis sa création 1 million d’enfants sont nés grâce aux couples que cela a formé. Loin de moi l’idée de vouloir un bébé mais, à l’époque, je me souviens m’être dit que j’essaierais bien deux/trois fois avec elle (oui, oui on est tous pareils…).

12 heures passent.

Elle : "J’ai apprécié travailler avec toi mais tu parles trop vite pour que je comprenne".
- De quel pays viens-tu ?
- Je suis française.
Je me sens con, je dis :
- Mais, tu as ce petit accent…
Elle me sourit (ironie ? fierté incommensurable ?) et dit trois mots :
- Je suis sourde.
Elle soulève ses cheveux, montre son appareillage, avant d’ajouter :
- Et tu parles beaucoup trop vite pour que je lise sur tes lèvres correctement.

Il n’y a pas d’incapacité qui soit condamnée à constituer un handicap, je veux dire : il n’y a VRAIMENT pas d’incapacité qui soit condamné à constituer un handicap.

Je n’ai modifié que la phrase finale, qui disait "Il n’y a pas de handicap qui ne puisse pas être battu"

La terminologie moderne distingue bien la limitation fonctionnelle ou l’incapacité qui qualifient la personne et le handicap qui désigne l’interaction entre cette personne et son environnement.

Le terme handicap devrait être réservé au manque d’adaptation d’un environnement à une limitation ou une incapacité. L’utiliser pour désigner l’ensemble, c’est risquer d’être ambigu, mais surtout adopter une logique implicitement passive.

Il y a un écart considérable entre affirmer Vous êtes handicapé (c’est triste, mais on n’y peut rien) et Cet environnement inadapté vous handicape (et il faut qu’on l’adapte).

Actualité en 2 images non commentées de ma Twitter List

Thursday, April 4th, 2013

Arbre décisionnel Rhume vs Grippe

Monday, January 21st, 2013

Rien de plus scientifique qu’un arbre décisionnel… la preuve :

Original sur www.lepharmachien.com

En bonus, un guide sur l’utilisation des arbres décisionnels

Le DMP est mort, vive… quoi ?

Saturday, November 3rd, 2012

Nous vivons à une période vraiment curieuse, mais si intéressante pour celui qui a le luxe de conserver un peu d’humour… apprécier l’humour soviétique aide beaucoup.

Ainsi donc, à l’Assemblé nationale, lors de la deuxième séance du vendredi 26 octobre 2012, Christian Paul, le député socialiste de la deuxième circonscription de la Bièvre, demandait au gouvernement une évaluation du DMP en ces mots :

« Pendant toutes ces années, nous nous sommes forgé notre conviction. Entre 2004 et 2007, premier âge du DMP, il s’est produit un véritable scandale en termes de politiques publiques, et le dispositif, qui s’est révélé très coûteux, a été de ce fait remis en cause après 2007. Il a été probablement mal piloté depuis, et quasiment abandonné, en tout cas sur le terrain politique, lors du retour de M. Bertrand au ministère de la santé. Cet échec doit être souligné en termes de pilotage des politiques publiques et de réponse aux besoins des professionnels de santé, dont nous sommes extrêmement soucieux. »

Autant dire que rien dans la communication de l’ASIP santé, toute entière occupée à vanter le considérable succès d’un déploiement qui enthousiasme les acteurs locaux… ces héros de l’information de santé qui, comme le Docteur Pascal Charles, pneumologue strasbourgeois, aura sa photo dans le rapport d’activité, agrémenté d’un texte au sein duquel le mot « enthousiasme » revient justement comme un leitmotiv.

Le mot échec est pourtant lancé, et reviennent en mémoire les échecs précédents.

L’époque initiale où Xavier Bertrand, jeune ministre faisait valser les dirigeants du GIP CPS. Puis l’ère Jacques Sauret, démarrée avec une ambition considérable mais qui, après la catastrophique expérimentation régionale, fût toute entière consacrée à faire semblant – jusqu’aux élections présidentielles de 2007 – de tenir l’objectif politique d’une généralisation en juillet 2007. Puis l’audit demandé par Roselyne Bachelot, processus technocratique si particulier où des Shadoks jugent sévèrement d’autres Shadoks, qui envoya au goulag le duo Sauret – Coudreau et fit sortit de l’anonymat le « grand chef à plumes » des auditeurs, un certain Michel Gagneux.

Supposons que la machine à reproduire de l’échec soit démantelée et, puisqu’il faut que la bête meure, intéressons-nous à ce qu’il faudra faire dès que le pouvoir politique aura pris une décision aussi courageuse que visionnaire. Et comme les concepts les plus puissants sont souvent les plus simples, l’action se résumera alors à deux points : donner du sens et trouver sa place sur Internet.

Donner du sens

J’ai déjà expliqué que le mot DMP désigne à la fois le concept et son application.

Ainsi, quand quelqu’un affirme que, dans telle région, le terrain montre un grand intérêt pour le DMP, il est impossible de savoir si cette personne parle d’un intérêt :

  • pour la continuité des soins en général (la justification du concept),
  • pour la mise en œuvre d’un outil étatique dédié à la continuité des soins (le concept) ou enfin,
  • pour le service que diffuse réellement l’ASIP.

Bien évidemment, la différence entre ces trois niveaux d’abstraction est considérable et propice à toutes les déceptions…

Le terme « santé » est lui-même terriblement problématique. Il est généralement défini en creux, comme état contraire de celui de maladie ; pourtant l’Organisation Mondiale de la Santé lui a donné, depuis 1946, un sens positif en tant qu’état de complet bien-être physique, mental et social, ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.

La santé déborde donc depuis très longtemps du domaine médical et recouvre les champs de l’hygiène, du mode de vie, de l’environnement… en réalité, directement ou indirectement l’ensemble des composantes de la vie d’une personne.

Pourtant, quand la loi Kouchner du 4 mars 2002 définit l’hébergement des données personnelles de santé sous la forme « dépôt des données de santé à caractère personnel, recueillies à l’occasion des activités de prévention, de diagnostic ou de soins, auprès des personnes physiques ou morales agréées à cet effet », elle ne parle manifestement pas de confort de logement ou de qualité de l’eau potable…
Dans la plupart des cas, le terme « santé » remplace le mot « médecine » depuis qu’il est politiquement correct de mettre le patient au centre du système. Il est, par exemple, terriblement à la mode de parler de ces « maisons de santé » qui vont résoudre tous les problèmes de la médecine moderne en mettant divers métiers et diverses spécialités médicales sous le même toit. N’imaginez pas y voir des spécialistes de l’environnement ou de l’habitat ; en fait c’est tout simplement la même chose que les maisons médicales qui existent déjà depuis longtemps (la fédération des maisons médicales est ancienne et fortement structurante en Belgique), avec une petite sauce technocratico-marketing.

Le mot « patient » n’échappe pas à la perte de sens. Le Larousse le définit comme « Personne soumise à un examen médical, suivant un traitement ou subissant une intervention chirurgicale. » Une personne atteinte d’une pathologie chronique deviendrait donc définitivement un patient ! Ce que ne précise pas le Larousse, c’est que ce terme désigne une personne faisant l’objet de soins médicaux telle qu’elle est désignée par un soignant. Madame Durand n’est la patiente Durand que vis-à-vis du Docteur Dupont. Et les seuls cas où elle s’applique ce vocable à elle-même, c’est pour expliciter cette relation : « je suis Madame Durand, la patiente du Docteur Dupont ».

Mais alors, que signifie l’expression « mettre le patient au centre du système de santé » ? Est-ce que ça veut dire, ce qui serait logique, qu’on change de référentiel, comme dans une course de voiture où on déciderait de mettre une caméra embarquée dans le véhicule plutôt qu’une caméra fixe dans chaque stand ? Mais dans ce cas, pourquoi utiliser le terme patient qui désigne précisément une personne « dans la boîte où on la soigne » ?
Même si c’est assez subtil, ce n’est pas un détail car cette terminologie révèle une véritable disjonction cognitive ; qui emploie ces mots pense valider une révolution copernicienne qui mettrait la personne au centre d’un système qui tournait auparavant entièrement autour du praticien… mais, pour des raisons généralement paternalistes, il tient à la garder à l’intérieur de son système de référence. En terme astronomique, l’équivalent serait de dire que c’est bien la terre qui tourne autour du soleil… mais qu’elle est creuse et que le soleil est à l’intérieur !

Pragmatiquement, et sur le terrain, les exemples abondent. C’est le portail hospitalier réputé être le support de la continuité des soins (comme si les personnes qui vivent dans le secteur desservi par cet hôpital ne devaient jamais consulter ailleurs). C’est le DMP tel qu’il est développé par l’ASIP, qui est un embryon de système d’information hospitalier (SIH) à l’échelle d’un pays, ce qui nous ramène directement à l’exemple de la terre creuse puisque le modèle implicite est celui d’un hôpital qui contiendrait un pays.

Comment raisonner juste, voire même raisonner tout court, dans un environnement où l’usage des mots pivots du domaine conjugue la confusion entre concept et chose (DMP), la polysémie artificielle d’une novlangue technocratique (santé) et la disjonction cognitive face aux évolutions en cours (patient) ?

Le problème auquel est confronté le domaine de la santé devant un tel flou sémantique s’explique très simplement en utilisant un modèle définit par la philosophe Claudine Tiercelin dans Le ciment des choses : « le triangle d’or entre les mots, les concepts et les choses impose au philosophe une constante attention à ces trois dimensions : le langage, l’esprit, la réalité. »
On comprend aisément que si ce triangle d’or devient aléatoirement déformable à la façon des montres molles de Dali, le langage ne parvient plus à établir de pont entre l’esprit et la réalité.

Il est intéressant de voir que le politique se satisfait parfaitement de cette plasticité sémantique. Les « mots pivots » de notre société ont désormais un sens différent pour chaque parti ; en effet la plus efficace des manœuvres politiciennes est de réussir à imposer un sens nouveau aux concepts fondamentaux sur lesquels s’appuie l’adversaire, les transformant en autant de savonnettes pour le faire chuter.

Par exemple, quelle interprétation donner à ce tweet de Pierre Simon‏ (@pierresimon22) du 17 octobre 2012, si typique du domaine ?

« Un conseiller du president : si nous n’arrivons pas a mettre en place le DMP nous ne reformerons pas le système de santé »

C’est une variante intéressante du dilemme de l’œuf et de la poule : réformer le système de santé nécessiterait donc un DMP, mais créer un DMP est improbable dans le système en cours. Le paradoxe s’explique très simplement : le levier qui permet de renverser la boîte n’est jamais utilisable depuis l’intérieur de cette boîte.

Jetez un œil à ma « fresque sur le naufrage du DMP » et vous y verrez que la critique qui revient sans cesse sous la plume des observateurs est le manque de définition : « commencez la construction, on vous donnera le cahier des charges plus tard » lit-on en avril 2006 ; puis en juillet de la même année : « les points qui n’avaient pas été précisés au moment du lancement du projet n’ont toujours pas été clarifiés deux ans plus tard ».
Ces fameux « points non précisés » ne l’ont jamais été, et ils touchent au sens profond de l’outil. Ainsi l’Asip a-t-elle assemblé un puzzle à base des composants à la fois disponibles et connectables dans les délais impartis (en l’occurrence des composants hospitaliers, ce qui fait, par pure contingence, du DMP un embryon de SIH) et est-elle, pour les mêmes raisons, condamnée à donner au résultat final une portée universelle. Comme certains portails caricaturaux de l’ère « dot com », le DMP est donc mécaniquement condamné à servir à tout sans être utile à rien.

L’état de non sens est également pain béni pour certaines grandes entreprises qui savent soupeser très précisément quel investissement mettre dans la balance en prévision d’appels d’offres gouvernementaux. Que ce soit utile ou non, il y a des millions d’euros à gagner avec des technologies dérivées à la marge des standards de la « banque –assurance ».

Malheureusement, un terrain où le « triangle d’or » de Claudine Tiercelin ne serait pas suffisamment solide est impraticable pour qui veut inventer, innover, étendre le champ des possibles.

Redonner du sens, reconstruire le triangle d’or est donc une priorité impérative, et elle passe nécessairement par la disparition du terme DMP !

Trouver sa place sur Internet

Le 29 avril 2008, Alain Baritault écrivait dans l’Informaticien

« Le DMP est donc à la base d’une nouvelle organisation de la santé, et son but est de réaliser des gains de productivité. Mais l’informatique n’est plus simplement un outil de productivité, c’est aujourd’hui un outil social de communication et d’organisation structurée de façon plus souple et flexible. Elle est un outil qui doit permettre au malade, au patient, au citoyen (et ses proches, y compris son médecin) de créer, de structurer et d’organiser son propre environnement de santé, en assurant la communication entre les différents acteurs qui interviennent autour de lui et de sa santé, qu’il soit malade ou pas. L’évolution du Web et des sites dits « sociaux » nous le démontre tous les jours. L’approche du DMP an II, si l’on donne foi à ce raisonnement, est donc déjà complètement obsolète. C’est à peu près comme si Google décidait de lancer une suite logicielle packagée pour concurrencer Office de Microsoft. »

Plus de 4 ans plus tard, les critiques d’Alain Baritault sont « encore plus pertinentes » et le DMP « toujours plus obsolète ».
Comme je l’ai déjà expliqué, le DMP est construit sur une vision de la santé d’avant 1946, alors qu’elle était limitée à la lutte contre la maladie, donc réservée aux professionnels. Sa qualité première est la sécurité d’accès. Ses murs sont étanches, il est totalement isolé de l’Internet… et des gens.

Car circonscrire la santé à la lutte contre la maladie, c’est oublier que la santé c’est un état de bien être qui inclut la vie sociale, l’hygiène et le confort de vie et de travail… mais aussi bien d’autres choses.

Tentez cette simple expérience : énumérez l’ensemble des informations qui vous concernent et vous décrivent, y compris, bien entendu, vos donnez médicales. Puis tentez de définir la limite entre les données de santé et les autres. Tentez de délimiter la frontière entre les données médicales, celles qui constituent des déterminants de santé et celles qui n’ont aucun rapport avec la santé. Ces trois catégories existent clairement, mais vous découvrirez qu’elles n’ont pas de frontière franche, que le passage de l’une à l’autre se fait selon un continuum.

Alors où mettre les murs du DMP ?

C’est globalement indécidable. C’est l’affaire de chacun. Celui-ci met son génome sur Internet, cet autre ne veut pas que la moindre de ses informations soit accessible par un système en ligne (fût-il Fort Knox). Le DMP est affaire individuelle comme la médecine moderne promet d’être hautement personnalisée… et la convergence est assez heureuse.

Dans la conclusion, titrée Les publics émancipés, de son livre La démocratie Internet, Dominique Cardon écrit :

« Ce déplacement [hors de l’orbite de la politique représentative] nous montre ce que l’espace public traditionnel a de paternaliste. Au fond, il s’est toujours méfié du public et a inlassablement cherché à le « protéger » contre les autres et surtout contre lui-même. En le reléguant dans un rôle d’audience, il lui ôte ses capacités d’action. En le filtrant, il domestique ses prises de parole. En privatisant son intimité, il lui interdit de s’engager corps et âme. En faisant corriger ses connaissances par des experts agréés, il professionnalise le savoir. En le consultant à travers des sondages, il le « ventriloquise » à tout propos. Mais, s’ils n’ont pas disparu, tous ces travers appartiennent désormais au passé de la démocratie. Car, sur Internet et grâce à Internet, ce public sous contrôle s’est émancipé. »

Ce chapitre décrit parfaitement l’enfermement politico-technocratique du DMP, rejeton improbable et non viable d’une classe politique qui révèle par cet acharnement thérapeutique son incapacité à guider les nécessaires évolutions d’une société qui est précisément en crise de ne pas savoir se réinventer. «Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » a écrit Antonio Gramsci ; nul doute qu’il faut abattre ce monstre-ci pour ouvrir la voie à de nouvelles pratiques.

Trouver sa place sur Internet, pour le DMP comme pour tous les services qui ambitionnent de concourir à « réformer le système », c’est désormais aller se faire inventer sur Internet… et, puisque l’Internet est le lieu par excellence de l’évolution agile, c’est également contribuer à réinventer l’Internet.

Giacobetti

Tuesday, October 23rd, 2012

Francis Giacobetti expose du 11 octobre au 22 décembre 2012 à la galerie Matignon son hypnotique série ZEBRAS (ou Optic Stripes).

Garofalo

Sunday, October 21st, 2012

Jack Garofalo était un photographe d’exception. Exceptionnel parce qu’il approchait de très près une race de grands fauves du cinéma, de la chanson et de la politique qui n’a plus d’équivalent. Exceptionnel parce qu’il avait un sens rare de la lumière, du mouvement, de cette composition de l’instant qui en faisait l’un des « top guns » de Paris Match.

A l’initiative, et grâce au dynamisme, de sa fille Isabelle, quelques unes de ses photos ont fait l’objet d’un tirage soigné et sont mises en vente par Paris Match (qui possède le fond). Préalablement à leur exposition chez un galeriste, elles sont actuellement, et jusqu’à demain, visibles au sein du studio Central Dupont Images, 74 rue Joseph de Maistre, Paris 18.

Un Brel tout de forces et de doutes.

Fauves en mouvement (avec malheureusement un reflet dû à ma prise de vue au téléphone portable).

Un Nicholson superbement inquiétant (mea culpa à nouveau pour le reflet).

Ce fauve-ci a été saisi au repos.

Du charme, mais surtout une belle dose d’humour.

L’outil du maître. Focale courte pour approche au plus près. Pas question de voler de loin, au téléobjectif, de la princesse topless. Garafalo aurait été sur le balcon, la crème solaire dans une main et le Nikon de l’autre. L’exposition montre d’ailleurs une Brigitte Bardot nue dans sa salle de bain… avec en reflet dans un miroir la preuve, pour ceux qui ont l’oeil, que Garofalo travaillait vraiment au plus près.

Un accrochage soigneux et une composition toujours judicieuse.

Monica Vitti, étrange force d’une beauté diaphane.

Découverte de l’Inde ; l’autre poster de l’exposition au studio Central Dupont.

Mont Fuji

Sunday, October 21st, 2012

Le mont Fuji décoré d’une superbe corolle ; ce nuage lenticulaire est un phénomène spectaculaire et rare qui, d’après le site laMontagne.fr, se produit également dans le puy de dôme.

Décolage

Monday, September 24th, 2012

Indigence technique, vision technocratique et récit pitoyable… Le DMP ne décollera jamais.

Par contre, les AC45 de la Coupe de l’America sont des bateaux vraiment fous ; innovation techniques tous azimuts et rêve éveillé de voir un catamaran prendre son envol.

Pourquoi il faut stopper le DMP

Sunday, September 23rd, 2012

Il existe depuis toujours une forte dissymétrie de gestion d’information entre le citoyen et ses prestataires. La boîte à chaussures ou le sac plastique bourré de documents d’un côté, des logiciels métiers dédiés de l’autre. C’est l’un des grands espoirs du web que de combler ce fossé. Dominique Cardon évoque superbement ce mouvement dans l’introduction de son livre « La démocratie Internet » :

Internet élargit l’espace public. […] Ce livre voudrait montrer que cet élargissement procède de deux dynamiques orthogonales : Internet pousse les murs tout en enlevant le plancher. Il ôte d’abord le privilège d’accès à la publication dont bénéficiaient naguère les professionnels. L’apparition des amateurs sur la scène publique étend considérablement le périmètre du débat démocratique. La parole publique ne reste plus sans réponse, dans une posture d’autorité imposant à son public silence et déférence. Elle peut désormais être commentée, critiquée, raillée, transformée par un grand nombre de personnes autrefois jugées inaptes ou ignorantes. Mais Internet aspire aussi dans l’espace public les expressions personnelles des internautes. Le web s’empare de conversations qui n’étaient pas reconnues comme « publiques », en profitant des nouvelles pratiques d’exposition de soi des individus. La ligne de partage entre sociabilité privée et débat public est trouée par une nouvelle sensibilité qui conduit les individus à s’exposer et à tisser, devant les autres, des fils entre leur vie personnelle et les enjeux publics.

Le Dossier Médical Personnel, qu’il le veuille ou non, est contemporain de ce mouvement de fond qui voit l’individu, maintenant doté d’un accès à l’information et placé en position de suivi de sa santé ou de celle d’un proche, espérer trouver un outil à la hauteur de cet enjeu.

Pourquoi le DMP est inutile

Le DMP « Bertrand 1 », dont le but était de contrôler les examens redondants et de diminuer la iatrogénie était totalement inscrit dans une logique de surveillance ; le même DMP, dans son actuelle mouture « Bachelot – Bertrand 2 », a une justification bien plus à la mode, la continuité des soins. L’enjeu est d’importance puisque la continuité des soins c’est l’organisation au long cours, pour une personne, de sa trajectoire de santé.
Comme l’évoque Dominique Cardon la ligne de partage entre « pour une personne » et « par une personne » est désormais « trouée par une nouvelle sensibilité » qui, en santé (et même en médecine), naît d’une nouvelle capacité d’accès à l’information mais aussi de nouvelles contraintes de société, par exemple la prédominance des pathologies chroniques, les enjeux de la dépendance dans un contexte d’évolution défavorable de la disponibilité médicale.

Autant le dire tout de suite, le DMP réel, celui que l’ASIP tente actuellement à toute force de « généraliser », est aux antipodes de ces préoccupations. C’est un système basé sur la mise en œuvre de normes de gestion documentaires issues du monde hospitalier et dont l’objet principal est de permettre à un médecin d’accéder aux documents disponibles pour un patient donné.

L’échec du DMP est entièrement résumé dans ces quelques lignes… mais passe facilement inaperçues tant les mots ont un sens élastique dans le domaine. Détaillons.

Le premier mot qui pose grandement problème est « patient ». Le patient (du latin pateor, souffrir) est le terme employé par un professionnel du domaine médical pour désigner une personne en souffrance (malade ou craignant de l’être). Disons le simplement, le mot patient désigne une personne vue par les yeux d’un acteur clinique ; c’est-à-dire socialement nue et, plus souvent que nécessaire, physiquement les fesses à l’air.

Le second mot qui pose problème est « document ». L’échange de documents est depuis toujours le moyen de transfert d’information utilisé en médecine.
Le schéma fonctionne plutôt bien pour les pathologies aiguës simples : vous voyez un généraliste, qui demande des examens complémentaires ou vous réfère à un spécialiste. Le généraliste rédige une lettre à son confrère, et le spécialiste lui répond par un compte rendu.
Le même processus ne fonctionne plus du tout dès qu’il y a hospitalisation puisque le compte rendu de sortie est acheminé plusieurs semaines après la sortie, et il devient même aberrant dans un cadre chronique où son itération répétée génère une masse de documents considérable qui, par ailleurs (et heureusement pour lui) n’aboutissent pas tous chez le généraliste.

L’analyse de la masse de documents qui composent le dossier des patients qui paraissent justifier l’existence d’un DMP montre deux problèmes majeurs :

  • Il n’est pas simple de distinguer les documents d’intérêt historique de ceux qui n’en ont pas. Par ailleurs, en général, plus un établissement produit de documents pour un même patient et moins ils ont d’intérêt historique. Par exemple à l’hôpital (la grande cible du DMP actuel, justement par son effet de levier volumétrique) la majorité des documents servent à préparer une intervention et n’ont pas d’intérêt ensuite.
  • Le document que rédige un médecin contient trois types d’informations : des données d’intérêt général (poids, taille…), des données qui sont spécifiques à sa spécialité (« angle de vue » en gestion des connaissances) et n’outillent que sa propre prise de décision et enfin des données qui décrivent la vision qu’il a du processus clinique en cours (sur quoi on travaille, quelle inflexion donner au parcours de soins…).

Le terme « processus » est employé ici au sens très large de « support du travail d’équipe », donc neutre vis-à-vis du système d’information (en entreprise c’est l’objet des systèmes de gestion de projet, en musique symphonique, c’est assuré par le conducteur, le livret du chef d’orchestre…). Le problème en médecine, c’est que ni les logiciels des médecins, ni les systèmes hospitaliers, ni le DMP ne se préoccupent de cette tâche (précisément parce qu’ils sont exclusivement basés sur la gestion documentaire). Le corollaire, c’est que la démarche d’équipe reste implicite et que chacun (en fonction de la centralité de son rôle, de sa connaissance du patient, du temps qu’il consacre à interpréter le sens caché des documents, par exemple retrouver les problèmes en cours en fonction de la dernière ordonnance) se fait une idée personnelle du « processus fantôme » auquel il contribue.
Au final, un document médical contient donc quelques données d’intérêt générale, des données orientées angle de vue et l’évocation d’un processus fantôme.

La logique profonde du DMP, qui est de réaliser un dossier médical de continuité des soins par concentration des dossiers locaux, est donc particulièrement vaine ; non seulement parce que les documents d’intérêt historique seront noyés dans la masse (facteur aggravé par la course à la volumétrie qui pousse l’ASIP à connecter les hôpitaux), mais surtout parce que les documents qui ont un intérêt historique ne l’ont en réalité que pour leur auteur et, de toute façon, sont particulièrement pauvres en ce qui concerne la description de la démarche en cours, qui reste implicite et laissée à l’interprétation de chacun.

Comme chacun sait, quand on a un marteau pour seul outil, tous les problèmes à résoudre sont en forme de clou. Aussi, avec un peu de recul, on rira de constater que la solution la plus souvent évoquée à l’inutilité de ce « déversware documentaire » consiste précisément à y ajouter des documents supplémentaires, providentiellement baptisés « documents de synthèse », sans qu’on sache bien ni ce qu’ils contiendront, ni qui prendra le temps et le risque de les rédiger. Ne doutons pas que la prochaine étape consistera à élaborer une synthèse des synthèses.

Le DMP est essentiellement inutile. Contrairement à l’Internet qui, comme le dit Dominique Cardon, « élargit l’espace public », le DMP isole la médecine dans un mode de travail à l’ancienne, où la personne qui est censée justifie le P de Personnel n’a pas sa place et où chaque médecin à l’illusion de pouvoir continuer à travailler comme avant tout en bénéficiant par magie du travail des autres.

Demandez à un généraliste sa vision du DMP et il vous décrira la mise en ligne de son propre logiciel de gestion de cabinet, prêt à être abondée par tous les autres. Posez la même question à un spécialiste et vous obtiendrez quelque chose qui ressemble aux dossiers de réseaux de soins – ceux là même que les généralistes ne veulent plus remplir car ils détestent réduire le patient à sa maladie et ne peuvent supporter de voir éparpiller les données en cas de polypathologies. Vous ne demanderez pas à l’infirmière… et vous aurez tort car elle serait plus proche d’une vision opérationnelle… et, au fait, a-t-on demandé au patient ?

Pourquoi le DMP est aliénant

Comme je l’ai déjà évoqué, le DMP de l’ASIP est la réalisation du DMP du gouvernement. L’unicité ne se discute pas, non plus que la pertinence des solutions retenues… le truisme est sans échappatoire : le DMP réalisé est le DMP voulu puisqu’il n’existe qu’un seul terme pour définir… le DMP.

C’est une aliénation digne des Shadoks et que je raille fréquemment… mais que la plupart des gens prennent parfaitement au sérieux. Apportez une critique construite du DMP, comme celle qui est développée au chapitre précédent, et il vous sera immanquablement rétorqué quelque chose comme « puisqu’il est là, il faut s’en servir et demander des améliorations ». C’est à la fois logique et désarmant. C’est un peu si, après avoir démontré à quelqu’un que le train qu’il s’apprête à prendre part dans la direction opposée à sa destination, vous vous entendiez répondre « c’est le seul train dans la gare, je vais donc le prendre et je verrais bien si je peux lui faire faire demi-tour ». Ce comportement psychologique a été décrit par Jean-Pierre Dupuy dans son « Catastrophisme éclairé » comme le fait de se battre pour la meilleure place dans un train qui fonce vers le précipice.

En réalité, on n’invente jamais l’éclairage électrique en améliorant la bougie. Et un système mal né demande une telle débauche d’énergie à déployer que les virages drastiques y sont éternellement renvoyés à plus tard puisque la mise en œuvre quotidienne en est tellement problématique qu’elle consomme toute l’énergie disponible.

Il est important de comprendre que le « DMP du gouvernement » aurait pu être développé de mille manières. Le système monolithique actuel, le « DMP de l’ASIP » est assez dans la logique des systèmes d’information hospitaliers en France, où la majeure partie des fonctionnalités est concentrée dans un logiciel unique. Dans de nombreux autres pays, le SIH est une plateforme d’échange d’informations entre les multiples composants spécialisés qui outillent les services médicaux. De la même façon, on aurait pu créer un DMP en partant d’une démarche très conceptuelle, comme un ensemble de recommandation et la mise en œuvre de certains services considérés comme critique, ou par mise en œuvre d’une plateforme de services qui aurait permis à de nombreux acteurs d’ajouter leur pierre à l’édifice.
N’oublions pas que le succès des grands services venus des Etats-Unis, comme Amazon ou Facebook, provient en grande partie d’avoir su, en mettant leur concept de base au sein d’une plateforme applicative, agréger tout un écosystème d’entreprises qui participent à un cercle vertueux puisqu’elles étendent les fonctionnalités de la plateforme tout en bénéficiant immédiatement d’un vaste public potentiel… lui-même toujours croissant grâce à l’extension des services.

Le DMP ASIP est donc par essence unique et, par (manque de) conception, monolithique.

Il est clair pour tout architecte en système d’information qu’il est plus complexe et plus long de construire une plateforme extensible qu’un système autonome. Cette complexité et ce délai supérieur n’auraient pas permis de déployer le DMP Xavier Bertrand à grande échelle en 2007, ni de lancer le DMP Roselyne Bachelot avant 2011. De toute façon ces échéances n’ont pas été tenues. Par contre les choix techniques retenus, censés permettre le déploiement rapide d’un système simple, les rendent durablement improbables.

Cette contradiction entre « ambition urgente » et « bâclage incapacitant » n’est qu’un exemple des multiples cercles vicieux dans lequel le « dossier DMP » est enfermé depuis son origine. La raison profonde de ces désespérantes bévues permanentes est très clairement l’absence de sens du projet, que ce soit au sens propre de débâcle sémantique (parfaitement illustrée, comme je l’ai déjà évoqué, par la confusion de terme entre concept et implémentation) ou au sens figuré d’enjeu de société.

Dans un tel cas de figure, où des budgets conséquents sont disponibles pour un projet sans vision ni visibilité, les seules entreprises qui prospèrent sont celle qui sont capables de développer une stratégie purement opportuniste. Celui qui, au contraire, est en capacité d’innover dans le domaine n’a aucune moyen d’utiliser le DMP comme tremplin, ni possibilité de bâtir à côté, puisque le DMP revendique une exclusivité d’autant plus large que, s’il ne sert en réalité pas à grand-chose, il prétend, par son récent positionnement en continuité des soins, servir à tout (il est par ailleurs amusant de remarquer que cette contradiction entre une prétention extensive et une utilité douteuse est précisément ce qui a tué le concept de portails de l’époque pré-dot.com).

Pourquoi le DMP lutte contre l’innovation

Le DMP a donc vocation à être unique et à occuper intégralement le champ de la continuité des soins ; il est donc bien difficile de construire « à côté ». Comme c’est un produit monolithique et pas une plateforme, il ne permet pas d’héberger des services innovants, il n’est donc pas possible de construire « par-dessus ». Son architecture d’origine hospitalière basée sur la gestion documentaire est obsolète par rapport aux besoins modernes en gestion de processus, il est donc inutile de vouloir innover « à l’intérieur ».

Ni à côté, ni dessus, ni dedans… le positionnement de tout projet innovant est donc particulièrement périlleux ! La solution évidente est bien entendu d’être ailleurs (c’est celle que j’ai choisie), mais, après tout, il n’est pas si simple de définir cet ailleurs quand l’écart entre la fonctionnalité réelle et le champ d’action supposé du DMP est si vaste.

Prenons l’exemple de Sanoia. Cette jeune pousse s’est créée sur un principe simple et malin : les informations utiles en cas d’urgence peuvent parfaitement être d’accès public si personne ne sait à qui elles appartiennent. Il est alors très simple de mettre en ligne des informations qui vont se perdre parmi des dizaines de milliers d’autres données toutes aussi anonymes et de porter sur soi l’adresse du site Internet de Sanoia et l’identifiant, le numéro de « fiche », qui permet à l’homme de l’art de récupérer en quelques instants les informations qui lui permettront de vous prendre en charge efficacement.

L’idée est très bonne à la fois parce que le besoin est patent et bien défini et que la simplicité de mise en œuvre permet de le satisfaire à faible coût. Dans tout autre lieu, Sanoia pourrait être une perle innovante en forte croissance (en étasunien, une startup).

Par ailleurs, la « fiche Sanoia » n’est pas concurrente du DMP puisque, pour garantir son anonymat, elle ne doit bien entendu contenir aucune information nominative, que ce soit directement ou indirectement (c’est-à-dire en permettant des croisements d’informations trop précis ; par exemple connaitre la commune de résidence et le métier ou même la date de naissance exacte peut permettre une identification certaine). On est donc loin du cahier des charges de « continuité des soins », et Sanoia pouvait légitimement se considérer « ailleurs ».

Dans les faits, j’ai d’excellentes raisons de penser que Sanoia gêne l’ASIP et que cette agence d’état utilise tout son poids pour la mettre à terre. Le fait que la CNIL, qui avait initialement validé l’aspect anonyme des fiches Sanoia soit revenu sur cet avis après certaines critiques publiques n’est pas un hasard. La tribune de Jeanne Bossi, secrétaire générale de l’ASIP santé, titrée « Partager ses données de santé : ne pas se tromper » est parfaitement explicite : le DMP sert à tout et « laisser se développer des services qui ne s’inscrivent pas dans cette nouvelle logique et dans le respect d’exigences fortes prescrites par la loi et dorénavant applicables, c’est à la fois emmener le citoyen vers des chemins de traverse et freiner des évolutions dont l’actualité économique et démographique ne cessent de rappeler l’urgence. »

J’ai pris Sanoia pour exemple parce que c’est une entreprise pour laquelle j’ai à la fois une tendresse particulière et une absence totale de conflit d’intérêt, mais l’oukase de Jeanne Bossi est générique : la France est devenu le seul pays au monde où l’innovation en information de santé est l’apanage d’une agence d’état !

Pourquoi il faut mettre fin à ce projet

Après le rapport de la Cour des comptes, il est certain qu’un audit du projet va être mandaté. Une fois de plus des technocrates auditeront des technocrates afin de critiquer la gouvernance du DMP. Ils risquent fort peu, bien malheureusement, de mettre en doute comme je l’ai fait, son utilité, sa capacité d’aliénation du système de soins dans un paradigme obsolète et la lutte ouverte des membres de l’ASIP contre toute innovation susceptible de mettre en évidence leurs propres déficiences.

Je me garderais bien de reprendre ici le slogan de campagne de l’actuel président de la république. Je me contenterais d’une forme de pari de Pascal :
Tout d’abord, il faut bien constater qu’un projet qui a consommé près d’un demi-milliard d’argent public pour un résultat infinitésimal, qui, par ailleurs, est un frein aux évolutions nécessaires du domaine et bloque explicitement l’éclosion d’idées innovantes dans le domaine est l’archétype des désastres que la France n’a plus les moyens de financer.
Par ailleurs, un tel manque de sens de l’effort public est typiquement de nature à désespérer ceux à qui on demande de contribuer au redressement du pays en payant plus d’impôts.
Stopper le DMP, au contraire, c’est donner un triple signal :

  • que les deniers de l’état doivent être investis sur des leviers du changement,
  • que la santé est un des secteurs clés pour une nouvelle forme d’innovation par et pour le citoyen,
  • que la santé est l’affaire de tous en terme de solidarité et de chacun en terme de gestion de son propre capital.

Ce sont les points que je détaillerai dans le prochain opus.


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